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LA PETITE LAITIÈRE

tresol : et, comme de Neuilli n’y était pas, il le sonna, suivant son usage, pour le faire descendre. Lorsque le jeune homme fut où le désirait son oncle, celui-ci, qui était retourné dans son appartement auprès de Suzette, leva une portière, et fit voir à la jeune fille un garçon fait au tour, dont tout l’extérieur était charmant. Pour la première fois, de Neuilli, attentif à tout, s’aperçut de cette portière que venait de lever son oncle ; mais il n’en fit pas semblant : au contraire, il feignit d’être fort occupé d’un balle qu’il faisait bondir au plancher, pour se donner de l’exercice après son dîner. — Il dit que je suis un sot (pensa-t-il) : il peut avoir raison ; mais c’est plus son ouvrage que le mien : nous verrons si je m’instruirai mieux seul que par ses leçons. La portière se referma, et aussitôt le jeune homme courut à son trou de la porte du cabinet. M. Desgrands y rentrait avec la jolie laitière. — Vous voyez, ma fille, que c’est un fort beau garçon ! Oui, monsieur. — Je vous le donnerai, je vous le répète, si je suis content de vous. — Je ferai tout ce qu’il faudra pour vous contenter, monsieur. — Ah ! voilà qui est charmant, et vous êtes la première qui m’ayez parlé avec cette sincérité. — Je ne suis pas dissimulée, mon sieur. — Allons, ma belle fille, vous serez contente de moi, soyez en sûre. Il voulut l’embrasser, mais Suzette, qui entendait ses discours d’une tout autre manière, se défendit, et le cafard comprit qu’il n’était pas encore temps.

De son côté, de Neuilli, en voyant les entreprises du vieux satire, connut le sentiment de la jalousie : il frémit d’indignation : et, machinalement, il dit tout haut : — Elle ne sera pas pour toi ! Il fut entendu : mais le vieillard crut qu’il jouait, et qu’il parlait seul : pouvait-il deviner la vérité ? Le jeune homme comprit que le vieillard allait sortir. Il alla s’en assurer, en grimpant sur les pointes de fer ; il vit en effet sortir le carrosse, derrière lequel était l’unique laquais de la maison.

Dès que de Neuilli présuma que Suzon était seule, il