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LA JOLIE GAZIÈRE

Il ne s’agissait plus que d’avoir l’agrément de la mère Wallon pour tous ces arrangements. Elle le donna, mais avec quelque répugnance, parce qu’elle ne pouvait rien refuser au protecteur de son beau-fils et à l’amant de sa belle-fille : elle craignait Colette, qui effectivement était plus belle que Manon. Celle-ci était moins grande ; elle avait une jolie figure, de belles couleurs ; mais elle était un peu marquée de petite vérole. Cependant, quand on aimait Manon, il était impossible de lui être infidèle : c’était le plus charmant caractère ! elle possédait naturellement ces petits riens enchanteurs qui sont autant de liens invisibles qui retiennent un amant ; elle était faite au tour ; elle avait un goût exquis, et sa propreté naturelle ne permettait jamais de rien trouver en elle qui ne donnât appétit d’aimer. Colette avait ces mêmes qualités : mais les moyens lui manquaient encore pour les faire valoir : elle avait plus de douceur dans le son de voix que Manon ; celui de Colette remuait l’âme, même en disant des choses indifférentes : pour un cœur qui n’aurait pas été pris, elle l’aurait sans doute emporté.

M. de S** commença, dès le même jour, à partager ses soins entre les deux amies : Manon, déjà savante, se faisait un plaisir d’être maîtresse en second de sa Colette, et elle se fortifiait elle-même en l’instruisant. On dina ensuite tous ensemble. M. de S**, qui avait trop d’esprit pour ne pas s’apercevoir de ce qui se pas sait dans l’ame de la bonne Wallon, s’attacha surtout à la rassurer. Il parla de ses vues pour Manon, et fit entendre que leur exécution ne serait pas encore longtemps différée : Il se félicita ensuite de l’amie que mademoiselle Wallon s’était choisie : il déclara qu’il y avait longtemps qu’il lui désirait cet avantage qui contribuerait à leur bonheur à toutes deux : enfin, il dit qu’il fallait que Manon eût un goût conforme au sien, pour avoir si bien découvert la personne qu’il aurait préférée lui-même pour elle. Quand nous serons mariés (ajouta-t-il), ma femme aura quelqu’un qui la dédommagera de la solitude qui m’est nécessaire : je