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LA JOLIE GAZIÈRE

cette espèce. Pendant cette conversation, on roulait toujours, et l’on n’arrivait pas. Colette en témoigna de l’inquiétude. — Je retourne chez moi (lui dit la Moucharde, car c’était elle-même), et je veux vous y donner un logement, s’il vous convient : vous m’avez gagné l’âme, et je vous aime autant que le fait mademoiselle Manon : c’est une aimable fille, et que je connais beaucoup : elle doit épouser dans peu un homme comme il faut, qui est le protecteur de son frère. Je le connais aussi ; j’ai eu l’honneur de le recevoir chez moi deux ou trois fois. La voiture s’arrêta en ce moment, et quoique Colette fût toute tremblante de se voir entre les mains d’une inconnue, elle était si timide qu’elle n’osa refuser d’entrer.

La moucharde lui montra plusieurs appartements : entre autres, un petit fort joli au troisième, qu’elle lui offrit. Colette la remercia, et la pria de lui permettre de s’en retourner. — Je vous remmenerai (lui répondit la moucharde) ; mais il faut souper avec moi : il est tard ; on va servir : nous causerons en mangeant ; j’enverrai ensuite chercher un fiacre et je vous reconduirai. Il fallut bien que la jolie gazière cédât. Le couvert était déjà mis : la maîtresse fit servir ; deux jeunes filles dans le costume du faubourg vinrent se mettre à table, avec un vieillard en cheveux blancs.

Ces deux filles avaient l’air fort enjoué. Elles rirent ; elles dirent des choses plaisantes et tâchèrent de divertir celle qu’elles croyaient déjà leur nouvelle compagne. Mais Colette avait le cœur serré ; à peine, malgré le besoin qu’elle avait de nourriture, pouvait-elle avaler ses morceaux. On la fit boire : mais elle trempa son vin. Personne ne s’y opposa. Cependant, malgré cette précaution, Colette ne tarda pas à se trouver dans une situation qui lui était inconnue : elle sentit une gaieté involontaire ; l’appétit lui vint ; elle mangea de tout ce qu’on lui servit. On proposa de chanter, comme au souper d’Hélène : les deux jeunes filles s’en acquittèrent fort bien ; l’une par l’ariette de la Fée Urgelle,