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LA JOLIE GAZIÈRE

car elle est un peu farouche. M. de S** fut effrayé ; il trembla que Colette n’eût été souillée. Il fit, en feignant de rire, des questions pour s’en assurer. L’infame lui jura qu’elle était encore telle qu’elle était entrée chez elle. — Hier (ajouta-t-elle), cette fille est venue se jeter dans mes bras, en sortant d’avec une certaine Hélène, avec laquelle je ne sais pas ce qui s’est passé ; elle s’est trouvée mal après souper ; on l’a mise au lit, et la voilà. Il n’est venu personne depuis que je l’ai chez moi ; vous êtes le premier. Voyez un peu ce que devient l’autre (dit M. de S** qui entendit Manon parler très haut), et faites-la venir ici. Comme la moucharde ouvrait, Manon entra fort inquiète, suivie de sa conductrice la gazière. — Voyez, monsieur ; voilà du joli ! Malheureuse ! s’écria M. de S** d’une voix terrible, c’est avec elle que je suis venu, pour chercher cette jeune fille que tu veux perdre : mais tu es perdue toi-même, infâme !… Manon, et vous mam’selle (dit-il à la gazière), éveillez Colette, qu’elle s’habille, et partons. La moucharde voulut sortir ; M. de S**, qui n’était cependant pas un spadassin, la retint, en lui présentant la pointe de son épée, et il la força de s’asseoir au fond de la chambre.

On eut beaucoup de peine à éveiller Colette, qui ne se reconnut qu’avec peine : M. de S** fut obligé d’aider à la soutenir. Enfin elle revint à elle : mais elle resta comme accablée. Son sommeil était de nature à durer encore au moins six heures. Manon et la gazière, aidées du cocher, la portèrent dans la voiture, tandis que M. de S** contenait la moucharde. Ensuite au lieu d’aller sur-le-champ chez un commissaire, il ne s’occupa que de Colette. Quand on fut arrivé chez la mère Wallon, on la mit au lit dans la chambre de son amie, où on lui laissa achever son sommeil.

Prêt à partir pour aller faire sa plainte, M. de S** pria les femmes de s’assurer si l’innocence de Colette n’avait souffert aucune atteinte, il eut la satisfaction d’apprendre qu’il ne lui était encore rien arrivé. Il partit alors, ravi d’avoir un crime de moins à dénon-