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D'UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

avocat. Tout ce que la nature peut donner de séduisant, tout ce qu’un beau naturel et l’éducation peuvent y ajouter de qualités, tout ce qu’un goût exquis dans l’art de la parure peut fournir de grâces, Mme Cuissart le possédait. Je fus ébloui, enchanté ; je n’aimai pas, il est vrai, je ne voyais pas assez souvent cette dame qui passait à la campagne six mois de l’été, mais je sentis que j’étais encore capable d’aimer. J’en avais fait la connaissance chez une dame voisine : elles se brouillèrent par malentendu. Tremblant de perdre les occasions de voir une femme dont je m’étais flatté de faire ma muse et mon amie, je lui écrivis pour me la conserver : ce fut cette lettre qui me la fit perdre. On l’interpréta mal, ou ce fut moi qui ne me l’interprétais pas comme il faut ; on dit que c’était une lettre d’amour. Le mari de la dame trouva mauvais que j’eusse écrit à sa femme ; la dame ne pouvait faire autrement que de dire comme lui ; on se plaignit de mon procédé, je l’appris et j’en fus très étonné. Ma douleur en fut extrême : je m’étais imaginé qu’une femme honnête et mariée serait pour moi une amie sûre que je serais dans une heureuse nécessité de respecter.

Ma démarche imprudente renversait tous mes projets, et je me voyais humilié. Cependant je conservai les mêmes sentiments de respect, d’attachement pour Mme Cuissart qui, véritablement, était la reine de son sexe. Elle me rendit aimable tout ce sexe trompeur : « Quel bonheur, pensais-je quelquefois, d’avoir une femme pour amie, une femme, ajoutais-je tout bas, comme Mme Cuissart ! Hélas ! ce fut un malheur pour moi, que cette femme adorable m’eût mis dans cette disposition !… »

Au mois de novembre de la même année, Mme Cuissart étant de retour de la campagne, je lui rendis une visite, avec la résolution de cesser de la voir. Je la trouvai la même pour moi qu’avant son départ ; malgré ma lettre, son mari me fit accueil, mais je m’aperçus qu’il n’en fallait pas moins suivre ma résolution ; je ne les vis plus et je n’en sentis que plus vivement le besoin d’aimer.

Quinze jours après ma visite, commença l’époque fatale, où