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LA DERNIÈRE AVENTURE

je perdis mon repos, ma liberté… Il m’en coûtera peut-être la vie ; car j’aime encore la plus dangereuse des filles.

Depuis cinq ans, j’avais la même hôtesse ; je ne connaissais ni la conduite, ni le caractère de cette femme qui avait été belle et que je n’avais jamais trouvée aimable. Elle avait, lorsque j’entrai chez elle, une fille âgée de quatorze ans, qui me parut malheureuse, mais je n’approfondis rien ; j’étais ému quelquefois, lorsque j’entendais sa mère gronder, mais je ne m’informais pas ; le sexe, l’âge, la figure de Sara Lee m’empêchaient d’oser lui marquer de l’intérêt. Cette fille grandit pendant les cinq ans ; c’est trop peu dire qu’elle devenait aimable, elle devint belle, charmante, ravissante ; elle pouvait passer pour avoir la tête la plus parfaite, la taille la mieux prise qui fût dans la capitale. J’occupais l’étage au-dessus : je la voyais quelquefois s’appuyer sur le balcon et j’admirais sa beauté, ses grâces, son air de douceur. Qu’on se représente une grande blonde faite au tour, ayant les plus beaux cheveux et les plus fournis, les couleurs les plus vives et les plus naturelles, telles que la rose dont le bouton vient de s’entr’ouvrir, marchant bien, chantant agréablement et s’accompagnant de sa harpe, portant sur son visage une empreinte habituelle de tristesse qui la rendait si intéressante, que souvent je quittais ma croisée les larmes aux yeux. Voilà celle que j’admirais quelquefois ; car, les trois dernières années, elle ne venait chez sa mère que les fêtes. Quoique je la trouvasse aimable, que je sentisse qu’une liaison avec elle eût été charmante, l’éloignement que m’inspirait la mère, m’empêcha de rechercher la fille. Je n’entrais jamais chez Mme Lee lorsque Sara pouvait y être et, pendant quatre ans, je ne lui parlai qu’au jour de l’an.

La première fois que je la saluai, ce fut la seconde année de mon séjour ; car, à la première, je ne la vis pas. En m’approchant pour l’embrasser, elle me présenta sa jolie bouche. Je sentis un frémissement de plaisir ; il aurait été trop vif, si j’eusse pris le baiser qui m’était offert ; je me contentai de presser légèrement de mes lèvres ses joues de rose. Sara remarqua ma retenue et elle en rougit ; l’année suivante, elle ne me présenta