Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LA DERNIÈRE AVENTURE

Flore accomplissait quatre lustres. C’est le temps de renoncer au papillonnage et à la dissipation, charmes du printemps de l’âge, mais déplacés quand l’été commence ; ce n’est plus la saison des fleurs.

Les parents de la bergère et du berger ne voyaient point dans leurs enfants des dispositions qui promissent le retour qu’ils attendaient. Il leur paraissait aussi difficile de leur inspirer du goût pour les liens du mariage que de faire couler le Rhin dans la Sicile.

La patience est un des grands secrets de l’habileté. Le temps, mieux que la prudence, amène les choses à leur point. Un accident qui causa beaucoup d’alarmes à ces bons parents devint la source de leur satisfaction.

Dans un canton, voisin de celui qu’ils habitaient, on célébrait tous les ans, avant d’ouvrir les vendanges, une fête établie de temps immémorial. Elle durait plusieurs jours et commençait à la fin du mois où le soleil prend la balance de Thémis pour partager avec égalité les jours et les nuits. Les paysans, dans l’espérance de jouir bientôt du fruit de leurs travaux, dansaient, chantaient et buvaient à plein verre. Ils renouvelaient sans métaphore les célèbres bacchanales de l’antiquité ; chacun cédant à son enthousiasme, s’abandonnait à l’envi à toutes les folies innocentes d’une imagination animée par la gaieté. Ils marchaient couronnés de verveine et de lierre, en jouant de divers instruments et mêlant les sons bruyants du clairon et du hautbois aux sons plus doux de la cornemuse ; ils donnaient des fanfares aux bergères les plus distinguées. Vénus animait ces divertissements bachiques. Dès que le plaisir s’éveille, il l’appelle ; il sent qu’il ne peut se prolonger que par elle.

La jeunesse des environs se rendait à cette fête. Elle en augmentait l’allégresse en y prenant part. Pour y paraître avec plus de liberté, on empruntait divers déguisements. Alcibiade ne devait pas manquer une pareille occasion. Il vint à la fête et s’y montra en Scaramouche. En exécutant les différentes postures propres à cet habit, il sentit une douleur violente dans le côté ;