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LA DERNIÈRE AVENTURE

chant impérieux la fixaient près d’Alcibiade. De jour en jour il lui devenait plus cher.

L’hiver s’était ainsi passé. Le printemps acheva de rendre Alcibiade à lui-même et à ses parents ; mais cet Alcibiade volage, qui courait de bergère en bergère, et qui changeait chaque jour de divertissements, ne goûtait plus de satisfaction, dès qu’il s’éloignait de Flore. On le voyait revenir près d’elle aussitôt qu’il était libre. Son langage, ses manières, sans rien perdre de l’air et du ton aisé, prenaient je ne sais quoi de touchant qu’on n’y remarquait pas auparavant.

Il sentit qu’il aimait ; il le dit. Flore, troublée, reconnut ce qui se passait dans son âme, au récit que son amant lui fit de ce qu’il éprouvait. Représentez-vous un homme privé quelque temps de l’ouïe, sans espérance de guérison ; si les remèdes ou la nature dissipant les humeurs visqueuses, cause de sa surdité, il recouvre tout à coup la faculté d’entendre : le premier bruit de ce qui l’environne venant à frapper le tympan de son oreille, il n’ose croire qu’il entend et reste dans un étonnement mêlé de joie : telle Flore au milieu des mouvements confus qui s’élevèrent dans ses sens, demeura un moment interdite : son cœur ne la laissa pas longtemps incertaine sur sa réponse.

Elle approuva les feux de son cher Alcibiade. L’ardeur de son amant ne pouvait souffrir de délai. Il la fit consentir à braver les turlupinades que leur marotte passée ne manquerait pas de leur attirer et à ne pas différer de combler ses vœux en se donnant à lui pour jamais.

Les deux familles s’empressèrent de conclure un mariage dont ils attendaient leur consolation. Flore convint hautement que l’amour qu’elle s’était peint comme un cruel léopard qui déchire sa proie, ne méritait pas d’être redouté. Heureuse que le petit dieu, pour la punir de sa résistance, n’ait pas fait tomber son choix sur un magot comme il arrive ordinairement aux belles qui affectent trop l’indifférence.

Le jour désiré où l’on avait fixé la célébration arriva. Un prêtre consacra la tendresse des deux amants. Quand on eut donné la