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ET JULISKA.

qu’un vent contraire, ehassant aux yeux des chevaux les flocons do neige, leur révélât en même temps la piste de ces ennemis terribles, rôdant à la recherche d’une proie qu’ils sentaient proche. Le conductenr tourna sans retard son attelage ; il partit alors rapide comme un tourbillon sur la croûte neigeuse, tandis que derrière courait le troupcau des monstres affamés. « Si ces deux coquins ne consentent pas à oublier aujourd’hui même leur inimitié, que trois diables noirs les prennent et fassent griller leurs âmes ! » murmurait le conducteur du traîneau. Il n’avait pas eu le temps de proférer même jusqu’au bout son jurement terrible, qu’il faisait son entrée dans Kis-Balas.

Le village était depuis longtemps livré au silence de la nuit. A un coup de sifflet du conducteur, les chevaux s’arrêtèrent devant une maison dont on aurait en de la peine à distinguer les contours, tant les ténèbres étaient profondes. Dans ce lieu néanmoins on apercevait encore de la lumière, et le bruit qu’y faisaient les paysans rassem blés ne laissait guère de doute que e’était là le cabaret du village. Un cabaret magyare pendant une soirée d’hiver ne laisse pas que de présenter un mouvement et un spectacle assez particuliers. La plupart des habitants de Kis-Balas, rangés eu deux longues files le long d’une table de chêne, avaient chacun devant soi une cruche de vin. Plus de vingt pipes avec les nuages qui en sortaient donnaient à peine à l’eil le temps de découvrir les objets dans la ehambre, et ce n’était qu’avec diffieulté qn’on apercevait au plafond deux lampes où brûlait un suif grossier ; seulement, à la lueur vacillante de la branche résineuse allumée sur la banque, on entrevoyait la figure endormie et les