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ET JULISKA.

encore reconnaître Juros. Sa figure était enflée, et du front en bas le sang lui ruisselait sur les yeux et sur les joues.

Il fallait la nature indomptable d’un Bohémien pour maintenir son dire dans des circonstances pareilles, et pour poursuivre, dans l’intérêt d’un autre, son but jusqu’au bout. « Gyula est l’enfant de ma seur ! murmura Juros en s’essuyant le sang qui lui couvrait la figure ; Papafi Mihal le certifiera. » Il venait de faire un effort suprême pour prononcer ce peu de mots, après quoi il tomba anéanti. Gyula, si peu d’instants avant le plus bruyant, le plus tapageur des hôtes du cabaret, isolé maintenant et la tête basse, promenait devant lui un regard consterné. Tous ses camarades l’avaient aussitôt abandonné ; pour eux Gyula n’était qu’un paria. Aucun Magyar ne boit jamais la fraternité avec nn Bohémien, qui, en cela semblable à tout autre sujet de la monarchie autrichieune, est soumis, lui aussi, à la conscription ; au régiment, il n’occupe qu’une place subordonnée, une place à part. Les engagés volontaires, tant qu’ils ne sont pas soumis à la discipline, ne souffrent volontiers aucun Bohémien parmi eux. L’apparence de Gyula, ses traits, sa tournure, sa personne étaient si complètement magyars, que rien ne trahissait son ascendance maternelle.

A l’exclamation de Juros, une douzaine de voix s’élevèrent véhémentement pour protester, disant que le Bohémien en avait menti ; mais quand Mihal et Pal eurent certifié la chose, c’en fut fait de l’honneur du pauvre Gyula.

Contre le témoignage de deux gentilshommes, l’au-