Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/186

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Tachetant [cette cime] comme la peau du cerf,
La neige tombera-t-elle[1] ?

Cette montagne semble vingt fois plus grande que le mont Hiéi[2] ; la forme en est pareille à un tas de sel[3]. Ils allaient toujours. Entre les pays de Mouçashi et de Shimoça, il y a une grande rivière : on l’appelle la rivière Soumida[4]. S’étant assis au bord de cette rivière, ils pensaient : « Comme nous sommes venus loin ! » Le passeur leur dit : « Embarquez-vous promptement : le soleil va se coucher. » Ils s’embarquèrent donc pour traverser. Tous étaient tristes, ayant laissé quelque personne à la capitale. Un grand oiseau blanc, au bec et aux pattes rouges, se jouant à la surface de l’eau, mangeait des poissons. Cet oiseau étant inconnu dans la capitale, nul ne savait ce que c’était. Ils le demandèrent au passeur ; et apprenant qu’il s’appelait « l’oiseau de la capitale[5]», on composa :

Puisque tu en portes le nom,
Allons ! je vais te demander une chose,
Oiseau de la capitale !
La personne à qui je pense
Existe-t-elle ou n’est-elle plus ?

Et à cette composition, tous ceux qui étaient dans le bateau pleurèrent[6].


  1. Devant cette chute de neige sans fin, le poète se demande si
    jamais les pentes de la fameuse montagne seront seulement tachetées
    de points blancs, comme la peau des jeunes cerfs.
  2. Voir ci-dessus, p. 136, n. 2.
  3. C’est-à-dire à un cône dont la base est très large. Tout le monde connaît la silhouette du Fouji.
  4. C’est la Seine de Tokyo. Nos voyageurs sont sur l’emplacement, alors désert, de la capitale actuelle.
  5. Miyakodori, oiseau du genre hématope, représenté chez nous par l'huîtrier-pie de mer. Aujourd'hui même, les bonnes gens qui vont admirer, au bord de la rivière, les cerisiers fleuris du faubourg de Moukojima, achètent pour un centime de petites effigies en porcelaine de cet « oiseau de la capitale » ancienne.
  6. Ce petit chapitre montre bien le caractère général de l’ouvrage : le récit n’est pour ainsi dire qu’un fil léger auquel l’auteur attache, de province en province et de paysage en paysage, les poésies de son héros.