Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

apportaient sans cesse. Elle avait ses parents, qui lui disaient : « C’est pitié que les mois et les années se passent ainsi, sans penser aux lamentations des autres. Si tu en épousais un, l’amour de l’autre s’éteindrait. » La jeune fille : « Moi aussi, je le pense ; mais, leur amour étant pareil, je suis bien désemparée ! »

Or, en ce temps-là, il y avait des plates-formes avancées sur la rivière Ikouta[1]. Les parents firent venir les deux prétendants, et leur dirent « Votre amour pour notre fille étant pareil, elle se trouve dans un pénible embarras. Mais nous voulons décider cette question, aujourd’hui, par n’importe quel moyen. L’un de vous est venu d’un pays lointain ; l’autre est un habitant d’ici, mais il a montré un amour incommensurable. Vous nous inspirez tous deux une grande pitié. » Ils étaient pleins de joie. Les parents continuèrent : « Tirez de vos ares contre l’oiseau aquatique qui flotte sur cette rivière. Nous offrirons notre fille a celui qui l’aura atteint. » Tous les deux dirent ; « Excellente idée ! » Et ils tirèrent leurs flèches. Mais l’une perça la tête, l’autre la queue ; de sorte qu’on ne pouvait décider de la victoire. Alors la jeune fille, désemparée :

Lasse de vivre,
Je veux jeter mon corps !
Du pays de Tsou
La rivière Ikouta
N’est qu’un nom[2] !

Et à ces mots, de la plate-forme avançant sur la rivière, elle se précipita, tsoubouri[3]! dans cette rivière. Tandis que les parents, effrayés, poussaient des cris, les deux amoureux plongèrent au même endroit ; l’un la saisit par le pied, l’autre par la main ; et tous deux moururent avec elle.

Les parents se lamentèrent violemment ; ils recueilli-

  1. Sans doute des cabanes dont la partie antérieure était bâtie sur pilotis. Mais le cours d’eau qui porte aujourd’hui ce nom, près de Kobé, n’est qu’un petit torrent à moitié desséché.

  2. Ikouta signifie « champ vivant ».
  3. Bruit d’un corps qui tombe dans l’eau. En japonais, ces onomatopées n’ont rien de vulgaire.