Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/191

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encore, quand l’aîné de ses trois frères, Nobounori, étudiait dans le Shiki l’histoire chinoise, assise auprès de lui, elle écoutait sa lecture et retenait pour toujours ce qu’il avait déjà oublié. Le père soupirait : que n’était-elle un garçon ! Bientôt les classiques chinois n’eurent plus de secrets pour elle, non plus que les annales japonaises ; au point que, plus tard, l’empereur lui-même devait lui donner un troisième nom : Nihonnghi no Tsouboné, « la Camériste des Chroniques du Japon ». Quand elle eut fait ainsi ses « humanités », elle étudia les meilleurs écrivains japonais du xe siècle. De ce mélange allait sortir un style dont les critiques européens ne peuvent sentir tout le charme, mais que les Japonais ne se lassent pas d’admirer [1]. Son éducation achevée, elle épousa un Foujiwara, Noboutaka, de qui elle eut deux filles, Daïni no Sammi et Benn no Tsouboné ; la première devait se faire connaître à son tour, comme auteur probable du Sagoromo Monogatari[2]. Par malheur, Mouraçaki perdit bientôt son époux ; elle se retira alors dans la solitude, pour se consacrer au travail et à la méditation[3]. Cependant, après de longues années de retraite, elle se laissa ramener à la cour comme dame d’honneur de l’impératrice Akiko, plus connue sous le nom posthume bouddhique de Jôtô Moninn, laquelle était aussi une Foujiwara et une femme curieuse des choses de l’esprit. Le Mouraçaki Shikibou Nikki[4] date de cette dernière période. Mouraçaki repose à Kyôto, la vieille capitale où elle avait vécu tant d’heures de gloire ou de deuil, et où se passent les principales scènes de son chef-d’œuvre.

  1. C’est sans doute pour ce motif qu’un ouvrage si goûté au Japon est si maltraité en Europe. M. Georges Bousquet appelle Mouraçaki : cette ennuyeuse Scudéry japonaise ». Le mot a fait fortune : M. Chamberlain déclare qu’elle mérite abondamment » cette définition (Things Japanese, p. 265). M. Aston (p. 97) et M. Florenz (p. 211) se sont montrés moins sévères pour elle. En réalité, je crois qu’il serait difficile de trouver dans les littératures occidentales, jusqu’à une époque assez récente, des pages de psychologie aussi fines que celles dont le Ghennji est pour ainsi dire semé.
  2. « Le Roman de Sagoromo », ainsi intitulé parce que le héros, un brillant jeune homme imaginé suivant le type de Ghennji, s’appelle Sagoromo no Taïsho. L’ouvrage n’est d’ailleurs qu’une imitation constante du Ghennji lui-même. Pour Daini no Sammi, voir ci-dessus, p. 123, n. 1.
  3. Voir ci-dessus, p. 122, n. 3.
  4. Dans ce « Journal », Mouraçaki Shikibou fait surtout le tableau de la cour lors de la naissance de deux fils de sa maîtresse, les futurs empereurs Go-Itchijo (en 1008) et Go-Shoujakou (en 1009).