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LE GHENNJI MONOGATARI

C’est pendant sa retraite de veuve qu’elle avait commencé le Roman de Ghennji, publié aux environs de l’an 1000. Une poétique légende nous la représente, un soir d’été, sur une terrasse du temple d’Ishiyama, accoudée à sa table devant le lac Biwa dont la nappe argentée réfléchit la lune étincelante : la poétesse contemple ce paysage divin et, la sérénité des choses entrant dans son cœur, elle écrit, d’un pinceau tranquille et inspiré, un des plus beaux chapitres de son ouvrage. Qui n’a vu ce tableau exquis sur quelque encrier laqué d’or ? Par malheur, le terrible Motoori a prouvé que cette légende n’était pas de l’histoire. On en peut dire autant des pieuses traditions qui veulent entourer ce roman d’une atmosphère religieuse. Pour les uns, c’est sur la demande de la grande-vestale d’Icé, désireuse de voir paraître un monogatari moins grossier que ceux qu’on avait lus jusqu’alors, que l’impératrice aurait prié sa suivante de composer une œuvre plus délicate ; et c’est par une contemplation fervente que cette dernière s’y serait préparée, au temple d’Ishiyama. D’autres prétendent que la poétesse, fidèle de la secte Tenndaï[1], aurait voulu montrer à ses contemporains la vanité des choses humaines ; en sorte que ses libres peintures n’auraient été étalées que pour dégoûter les lecteurs. Enfin, si vous visitez, au monastère d’Ishiyama, la à chambre du Ghennji (Ghennji no ma), le bonze vous montrera, outre l’encrier même de Mouraçaki, un manuscrit de son propre pinceau : au moment où l’inspiration l’avait saisie, elle aurait noté en hate ses pensées au dos d’un rouleau bouddhique, traduction chinoise d’un sutra, et plus tard, en expiation de ce sacrilège, elle aurait voulu recopier elle-même le texte ainsi profané ; ce qui peut sembler bien scrupuleux, si son intention première avait été de faire de son roman un sermon. Ces histoires édifiantes, inventées tantôt par de pieux bouddhistes, tantôt par des pédagogues qui se désolent de ne pouvoir donner en exemple à la jeunesse un ouvrage si bien écrit, ne sauraient nous voiler le caractère essentiel de ce livre de bonne foi, écrit par une femme honnête, mais dénuée de toute pruderie : je veux dire le réalisme parfait d’un récit qui n’a de fictif que la composition générale, dont les scènes, infiniment variées, ne visent tout au contraire qu’à livrer fidèlement au lecteur un véritable

  1. Secte importée de Chine au commencement du ixe siècle. (Pour tout ce qui concerne le bouddhisme japonais, voir surtout les diverses études de M. A. Lloyd, professeur à l’Université de Tôkyò, dans les Transactions de l’Asiatic Society of Japan.)