Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/198

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ture[1], où elle se trouvait avec d’autres dames, les conduisit jusqu’au cimetière d’Atago ; et en cette circonstance où tout le monde était triste, on peut s’imaginer leur douleur. Tant que le corps exista, on put croire que la jeune femme était encore de ce monde ; mais lorsqu’il fut réduit en cendres, on comprit qu’elle était allée dans l’autre vie. La mère essayait de se montrer vaillante ; pourtant, écrasée par le chagrin, elle serait tombée de voiture si d’autres dames ne l’avaient retenue. Au cours de la cérémonie, un envoyé impérial lut un décret élevant Kiri-tsoubo au rang de sammi[2] : regrettant de n’avoir pas donné, de son vivant, le titre de nyôgo à cette femme distinguée, il voulait au moins lui conférer aujourd’hui ce rang d’honneur ; et en entendant ce décret, on se lamenta encore davantage…

Après les funérailles, bien des jours passèrent. Les divers services mortuaires furent célébrés avec grand soin. Lorsque le vent d’automne se mettait à souffler et qu’on sentait le froid du soir, les souvenirs de l’empereur devenaient plus vifs que de coutume. Il envoya (chez la mère de Kiri-tsoubo) une dame d’honneur, Youghéi, qui partit au moment où la lune brillait d’un vif éclat. L’empereur s’assit, en contemplation devant l’astre resplendissant. À pareille heure, quand il avait un festin, son amie jouait de la harpe[3]d’une manière merveilleuse,

  1. Les voitures étaient toujours traînées par des bœufs. Comp. p. 161, 208, 209, 214, 216, 217, 251, etc.
  2. Troisième rang à la cour. — Cet usage de conférer des rangs posthumes s’explique très bien si l’on considère que le pouvoir de l’empereur, dieu vivant, était regardé comme se prolongeant jusque dans le monde des esprits. Le Fils du Soleil accordait aux dieux eux-mêmes des promotions de ce genre ; par exemple, au ixe siècle, Souça-no-wo et Oh-kouni-noushi (ci-dessus, p. 42 et p. 52) furent élevés au troisième rang de la hiérarchie officielle. À plus forte raison était-il naturel d’octroyer ces honneurs à des êtres humains. Aujourd’hui même, une curieuse coutume est celle qui consiste à retarder, par une fiction bienveillante, la mort d’un personnage qui a bien mérité de l’Etat on le suppose en vie pendant quelques jours encore, on lui donne l’avancement qui accroîtra le renom et la pension de sa famille, et c’est seulement lorsque toutes les formalités sont remplies qu’on le déclare mort, officiellement.
  3. Du koto, la longue harpe horizontale qu’on voit apparaître dès les origines mythiques (ci-dessus, p. 56, 75), et qui, après avoir reçu divers perfectionnements, est demeurée le plus noble instrument