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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

gouvernaient le pays avec compassion. Leurs palais n’avaient qu’un toit de chaume, avec des poutres grossièrement ajustées. Si la fumée ne s’élevait pas des foyers, les impôts étaient remis[1]. On peut comprendre ce qu’est la société d’aujourd’hui en la comparant à celle de jadis.

Vers l’ère de Yôwa[2] (je ne me rappelle pas bien, il y a si longtemps !), pendant deux ans, on fut dans un état misérable à cause de la famine. Ou bien il y eut de la sécheresse au printemps et en été, ou bien des tempêtes et des inondations en automne et en hiver. Les malheurs se succédèrent, et on ne put récolter les cinq espèces de grain[3]. C’est en vain qu’on laboura au printemps et qu’on repiqua en été[4] : on n’eut pas le plaisir de récolter à l’automne, ni celui de conserver en hiver. Aussi, les gens des provinces quittèrent leurs terres et passèrent leurs frontières, ou bien oublièrent leurs maisons et allèrent vivre dans les montagnes. On commença toutes sortes de prières ; on pratiqua des exorcismes extraordinaires : mais sans résultat. La vie urbaine dépend de la campagne pour toutes sortes de choses ; mais comme la campagne n’apportait rien à la capitale, comment celle-ci eût-elle pu garder sa dignité ? Avec des supplications, on offrait de vendre tous ses trésors ; mais personne n’en voulait. Parfois, on trouvait acheteur ; mais l’or pesait moins que les céréales. Les mendiants étaient nombreux sur les routes, emplissant nos oreilles de leurs cris déchirants. Et dans cette misère s’acheva la première année.

Alors qu’on attendait, avec l’année suivante, un état de choses meilleur, la peste éclata, et ce fut encore bien pire. Tout le monde mourait de faim et, de jour en jour, nous

  1. Allusion à Ninntokou (voir le Kojiki, ci-dessus, p. 77).
  2. Une seule année : 1181.
  3. C’est-à-dire : le millet, le panic, le riz, les blés (froment et orge) et les haricots (de deux sortes). Comp. le Kojiki, XVII, ci-dessus, p. 50.
  4. Au Japon, où l’agriculture est plutôt une horticulture minutieuse, on sème le riz fin avril et, au commencement de juin, on repique le plant. La moisson se fait en octobre.