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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

La vanité de la vie, notre instabilité et celle de nos demeures ressortent bien des faits que je viens d’indiquer. Mais encore, suivant le milieu où nous nous trouvons, suivant la situation que nous occupons, bien des choses viennent nous inquiéter.

Le malheureux qui est sous la protection d’un grand peut avoir des moments de délices, mais non pas un solide bonheur. Il ne peut pas pleurer, crier lorsqu’il souffre. Ses mouvements ne sont pas toujours faciles ; assis ou debout, il a peur. Tel un moineau proche d’un nid de faucon. Si un pauvre homme se trouve auprès d’une riche maison, qu’il sorte de chez lui ou qu’il y entre, matin et soir il se sent humilié et honteux de son aspect misérable. Sa femme, ses enfants, ses serviteurs envient cette famille dont l’air orgueilleux trouble son esprit. Si l’on demeure en un endroit resserré, on ne peut échapper à l’incendie voisin ; si l’on habite un lieu éloigné de la capitale, on a l’ennui d’y aller et d’en revenir, et parfois on subit la visite des voleurs. Si l’on est puissant, on devient avare ; si l’on est solitaire, on est méprisé des autres. Si l’on est riche, on est toujours soucieux ; si l’on est pauvre, on manque toujours de quelque chose. Si l’on dépend d’un autre, on est son esclave ; si l’on protège quelqu’un, on se voit obligé de l’aimer toujours[1]. Vouloir plaire au monde, c’est se fatiguer soi-même ; contrarier l’opinion, c’est passer pour fou.

Pour tenir notre corps en paix dans ce monde pendant quelques courts moments, quel lieu choisir et à quoi nous occuper ?

Longtemps, j’ai vécu dans une maison que j’avais reçue en héritage de ma grand’mère paternelle. Cependant, ayant perdu ma famille et mon corps étant affaibli[2],

  1. Même s’il est ingrat, on ne peut se résoudre à ne plus s’intéresser à lui.
  2. Tchômei emploie ici un détour pour ne pas rappeler l’injustice