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PÉRIODE DE KAMAKOURA

je ne pouvais y rester davantage ; et, un peu après trente ans, je me bâtis une petite maison à ma convenance.

Comparée à mon habitation précédente, celle-ci n’en était que le dixième. Elle ne comprenait qu’une chambre ; ce n’était guère une maison. Il y avait une sorte de mur d’enceinte ; mais, faute de moyens, point de porte d’entrée. Les piliers étaient de simple bambou : une construction pareille à un abri pour voitures. Quand la neige tombait, ou que le vent soufflait, il y avait toujours quelque risque. La rivière étant toute proche, j’étais exposé aux inondations et aux « vagues blanches[1] ». Ainsi, supportant une vie fastidieuse, je passai là trente années, dans l’abattement.

Pendant ce temps, par tout ce que je pus voir autour de moi, je compris la brièveté de ma fortune. À mon cinquantième printemps, je quittai ma maison et le monde. N’ayant ni femme ni enfants, rien ne me retenait. Je n’avais point de fonctions, point de traitement ; quel intérêt m’eût attaché au monde ?

Je passai, inutilement, quelques printemps et automnes dans les nuages du mont Ohhara. Et maintenant, alors que la rosée de soixante ans ne s’évapore pas aisément[2], je me suis bâti une nouvelle demeure, telle une dernière feuille, comme un voyageur se fait un abri pour la nuit ou comme un vieux ver à soie se tisse un cocon. En comparaison de ma maison d’autrefois, celle-ci est cent fois plus petite. À mesure que ma vie décline, ma demeure se rétrécit.

Ce n’est pas une maison ordinaire[3]. Elle mesure dix pieds de côté et à peine sept pieds de haut. Comme je ne

    qui commença à le dégoûter des hommes. Des esprits vulgaires n’auraient pas manqué d’attribuer uniquement à cette déception d’amour-propre l’évolution qui se produisit dans sa pensée.

  1. Shira-nami, les voleurs ; du nom d’un endroit, en Chine, qui en était infesté.
  2. C’est-à-dire : à cet âge où la tristesse n’est pas facile à dissiper.
  3. Après nous avoir expliqué, par le tableau des malheurs du temps, sa résolution de quitter le monde, Tchômei va maintenant nous faire faire avec lui son « Voyage autour de ma chambre ».