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Page:Revue Musicale de Lyon 1903-11-03.pdf/8

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revue musicale de lyon

faire trembler les voûtes. Tout cela finit au cabaret d’où ça n’aurait jamais dû sortir et sous prétexte de Sainte-Cécile, on festoie et on échange des propos sur l’art de chef-lieu d’arrondissement et sur la littérature de nos beaux orphéons français. Peut-être un jour, au risque de nous attirer de vertes réponses, dirons-nous la vérité sur l’action de l’Orphéon en France, sur cette sacro-sainte institution qui, paraît-il, nous a élevés à la hauteur des peuples les plus musiciens d’Europe…

… Pauvre Sainte-Cécile, artiste gracile, idéale et charmante, à qui l’on inflige de pareilles sérénades !


Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


Hérodiade — Lakmé

Tout est relatif. Il est hors de doute que les mélodies de Massenet constituent une fort agréable audition quand on vient d’entendre consécutivement Salammbô qui n’est point gai et qui est long, et Mignon qui, joué comme il l’a été, était parfaitement insupportable.

Et cependant, le genre dramatique n’est point le fort de M. Massenet. À côté de la perle exquise qu’est le Portrait de Manon, à côté des pages charmantes que renferment Werther, Manon et le Roi de Lahore, les œuvres plus grandioses, ou plus sombres, telles que Le Cid, Esclarmonde, Le Mage, ou Hérodiade[1], semblent outrer les défauts et les boufissures et noyer les finesses sentimentales par quoi ce compositeur est attachant.

Le sujet d’Hérodiade, il faut le reconnaître, prête d’ailleurs fort peu. Il est absurde d’un

bout à l’autre. Le droit qu’a l’auteur dramatique de faire des entorses à la vérité ne peut porter que sur de menus faits, non sur le caractère même des personnages et sur l’esprit général de l’époque où l’action se déroule. Or il n’est pas besoin d’être très versé dans la connaissance de l’histoire juive et des textes sacrés ou profanes pour voir à quel point le caractère de Saint Jean a été stupidement défiguré. Les absurdités de détail sont légions, mais ce n’est point ici le lieu de les relever une à une.

La partition outre encore cette inutile transformation du Baptiste en un bellâtre amoureux. Nulle part plus que dans ce rôle, Massenet n’a plus abusé de son arsenal de syncopes de points d’orgues de pâmoisons ; nulle part il n’a plus poussé à l’extrême ces oppositions, ces successions de fortissime à des pianissimi qui lui mériteraient le surnom de Victor Hugo de la musique, Totus in antithesi. Certes les mélodies intéressantes abondent, les effets harmoniques les plus heureux se rencontrent à chaque page, l’orchestration présente les détails les plus habiles, mais au milieu de tout cela, on retrouve trop le procédé, l’adresse. Massenet est un parfait metteur en scène, rarement il est véritablement inspiré. Dans Hérodiade, que de pages excessives, destinées à porter sur les masses, visant à l’effet, et pour tout dire communes et triviales. Massenet est intéressant en raison directe de sa simplicité. L’exquise mélodie de l’ouverture (partition p. 2), le motif de grande flûte et de violoncelle du ballet, le prélude pour cordes du troisième acte sont des pages charmantes. Mais que dire de l’arioso affreusement vulgaire du baryton, que dire de ces insupportables motifs l’un pour trombones et tuba, l’autre pour trompettes, au début du troisième tableau, et de la phrase de violoncelles si vulgaire et banale, qui suit ; comment qualifier enfin le chœur des Romains, inepte d’ailleurs au point de vue des idées exprimées, et qui n’a que des effets de sonorité outrancière.

L’interprétation a été bonne en général. M. Verdier est un habile chanteur, dont le talent fait pardonner les insuffisantes qualités de force et d’étendue. M. Rouard bien servi par une voix magnifique tend à devenir

l’idole des galeries, ce qui le perdra s’il ne se
  1. Hérodiade, écrite en 1878, fut représentée pour la première fois à la Monnaie de Brucxelles le 19 décembre 1881 et dut donnée successivement à Milan, Hambourg et à Pesth. La première ville de France qui l’accueillit fut Nantes (29 mars 1883). la première représentation fut donnée à Paris, au Théâtre italien dirigé par les frères Corti, le 1er février 1884.