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un acte de trois quarts d’heure ; pour deux actes plutôt pas courts, c’est un tantinet insuffisant.

La musique annexée au susdit livret, ne le dépare pas ; exceptons l’ouverture qui est gaie et assez lestement troussée, rappelons les couplets de Virginie : « Il faut parer sa personne autant que son magasin », qui, convenablement chantés, n’auraient peut-être pas déplu ; l’air classique « Le tambour major tout galonné d’or est un si bel homme », le quintette pour voix seules puis pour voix et orchestre, qui sert de conclusion au premier acte ; citons encore les couplets « Ô ma gazelle, ma tourterelle » et la romance de la belle Fathma en mi majeur : mais ne parlons pas de la diane : « l’Amour ce dieu profane », ni de l’intolérable cantilène « Plaignez la pauvre demoiselle », ni de la cacophonie du final.

Tout cela forme-t-il un opéra-comique du type français classique, genre Mousquetaires de la Reine, Châlet ou Domino noir, ou une opérette bouffe à tendance satirique. That is the question.

La première hypothèse semble assez vraisemblable, en ce sens que le Caïd correspond nettement à la définition de l’opéra-comique : ce n’est pas un opéra, et ce n’est pas comique. Ce qui ferait pencher pour une buffa, c’est l’intensité et la fréquence des roulades en gargarismes, et les suspensions coupant le sens des mots, au point de laisser pressentir parfois comme une vague intention de « Bu qui s’avance » Mais les bonnes plaisanteries sont courtes, et celle-là dure vraiment trop longtemps : on pouvait pardonner d’une façon plus sobre, plus vive et plus spirituelle la mélodie italienne (la mélodie seule, bien entendu ; je ne parle ni de l’harmonisation, ni de la combinaison des timbres, on ne parodie pas le néant), et il y a dans ce genre un chef-d’œuvre qui est un bijou exquis : le second acte du Maître de Chapelle, sans parler des deux opérettes d’Offenbach : Pomme d’Api et Monsieur Choufleuri, écrites dans le même style ; mais le Caïd a contre lui l’ineptie et surtout la lourdeur triviale de sa donnée scénique, bête à pleurer, sans un mot drôle, sans une saillie qu’on puisse citer, avec des scènes parlées écrites en vers de mirliton, et des couplets qui ne font ni rire ni sourire, parce qu’ils ne sont ni bouffons ni spirituels. Or qu’est-ce qu’une parodie qui n’est pas amusante ?

On en arrive à se poser la question de savoir si cette pseudo-parodie de l’italianisme, était voulue ou si elle n’était pas la manière même d’Ambroise Thomas, et, quand on songe aux récitatifs de Mignon (qui contient d’ailleurs des choses charmantes), quand on songe surtout aux chœurs inénarrables du premier acte d’Hamlet, aux lamento, aux arioso et aux romances de cet opéra de pacotille, on est tenté de croire que Thomas fut un joyeux fumiste et qu’il ne fut créé et mis au monde que pour dégoûter le public de l’opéra italien. Quelle dissertation vaudrait en satirisme aigu l’ensemble « …des palmes et des fleurs » si nettement Belle Hélène, ou les variations chromatiques d’Ophélie dans la Fête du Printemps, si regrettablement Donnizetti. Ce Français a tué les Italiens en les imitant, et telle page d’Angélique et Médor, ou du Carnaval de Venise a plus fait pour l’éducation du public que toutes les conférences ou les articles possibles.

Les tenants des anciennes écoles objecteront que nous sommes mal placés pour juger l’opéra-comique, et qu’il n’existe plus actuellement de troupe capable de le jouer avec la verve, l’entrain, et les qualités vocales et scéniques nécessaires. Je concède très volontiers que les reprises que nous subissons sont en effet déplorables, que M. Boulo chante du nez, que Mlle Davray est intolérablement mignarde et maniérée, et qu’elle est absolument insuffisante au point de vue vocal, que M. Merle Forest a chargé son rôle plus qu’il n’était convenable de le faire, même un samedi, que Mlle de Véry enfin, ne donne qu’exceptionnellement des notes à peu près justes, mais il n’en reste pas moins que si cette même troupe jouait des œuvres qui eussent quelque valeur par elles-mêmes, la soirée eût paru moins mortellement soporifique, et que, même avec ces interprètes, nous eussions consciencieusement applaudi les bijoux délicats et charmants que sont la Dame Blanche, le Domino noir, Dra Diavolo, ou Crispino e la Comare. Mais le Caïd n’appartient point à cette catégorie. Il mérite d’occuper une place brillante dans l’œuvre du maître vénéré qui honora l’École française