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« jeu du furet ». Sans parler de ce qu’il sert à appuyer péniblement l’incompréhension de Wotan à tout ce qui se passe autour de lui ! Car ce maître des dieux en est certainement le plus bête… Il passe son temps à se faire raconter inlassablement une histoire que le plus infirme des nains qui croupissent dans les usines du « Niebelung » comprendrait ; mais lui ne sait que brandir sa lance, ou faire surgir des flammes, ou commettre d’irréparables « gaffes » qui remettent tout en question ! Vous m’objecterez à cela la nécessité de remplir quatre soirées… Travail de géant, assurent les wagnériens endurcis ! Effort surhumain, d’orgueilleuse vanité qui veut à la fois, la qualité et la quantité… Effort malheureusement gâté par ce besoin allemand de taper obstinément sur le même clou intellectuel, crainte de n’être pas compris, qui s’alourdit nécessairement de répétitions oiseuses.

Au reste, les personnages de la Tétralogie se suivent dans une mer d’orgueil insondable… Jamais ils ne se donnent la peine de justifier leur actes. Ils entrent, sortent, s’entretuent, avec un mépris de toute vraisemblance… C’est ainsi que dans le Crépuscule des Dieux, Hagen supprime Siegfried pour venger son vilain nain de père, sans qu’aucune des « peaux de bêtes » qui assistent à ce geste lâche, trouvent le moyen simple de supprimer Hagen à son tour… Dieu sait pourtant que ce sont des brutes accomplies… Dans ce même drame, Brünnhild la vierge forte, se laisse monter le coup par Hagen et Gunther comme une innocente petite communiante. Ce n’est vraiment pas la peine d’être la fille d’un Dieu ! Puis elle a aimé Siegfried, ce héros militaire, si fier de sa belle cuirasse ; il est un peu son frère (l’inconduite de Wotan fait que tous les personnages de la Tétralogie sont plus ou moins frères et sœurs…). Devait-elle donc se venger et le trahir avec aussi peu de grandeur ; et d’avoir perdu son essence divine excuse-t-elle ces manières de bonne d’enfant trompée ?… Une divine inconséquence lui permettra quelques instants plus tard, le temps de supprimer Siegfried, de venir déclarer qu’elle seule était digne de planer sur ce corps et de faire les gestes nécessaires, les pauvres « peaux de bêtes » ci-dessus nommées n’ayant jamais rien compris à la hauteur de vues de ce jeune héros auquel il n’a manqué qu’un peu d’éducation mondaine, tout occupé qu’il était à tuer des dragons, à écouter des chanteurs d’oiseaux, etc. Comme si elle n’était pas indubitablement responsable de cette mort et de ces regrettables conséquences… Hoyotoho ! bravo… Hoyohei ! c’est bien fait.

Ainsi que je vous le disais, la Tétralogie a des côtés de féérie enfantine, et, si d’un côté, il n’est nullement ridicule que : les dragons y chantent, les oiseaux y donnent de précieux conseils ; qu’un ours, un cheval, deux corbeaux, plus deux moutons noirs (j’en oublie…) y interviennent d’une façon charmante… D’un autre côté ce mélange d’humanité farouche et d’inhumanité divine ne s’opère pas sans trouble ! Peut-être fallait-il bravement marcher dans l’invraisemblable jusqu’au cou, sans se gêner par l’intrusion de sentiments de faiblesse humaine, cela ne pouvant que diminuer les héros de la Tétralogie… Sapristi ! Soyez dieux… Soyez féériques, mais ne donnez pas des leçons d’humanité aussi conventionnelles qu’improfitables.

Ceci est d’ailleurs de la critique dramatique et ne me regarde que très peu… j’aime mieux vous assurer qu’il y a d’ardentes beautés dans la Tétralogie… Au milieu des minutes d’ennui ou vraiment on ne sait plus à quoi il faut s’en prendre ; est-ce à la musique ? est-ce au drame ? Tout à coup surgissent des choses inoubliablement belles qui suppriment toute critique… C’est aussi irrésistible que la mer. Quelquefois cela dure à peine une minute, souvent davantage… Je ne vous ferais pas l’injure de spécifier ces beautés ; il se pourrait qu’elles ne fussent justement pas de votre goût ? Par ailleurs il y en a assez pour satisfaire tous les appétits.

Pour conclure, on ne critique pas une œuvre aussi considérable que la Tétralogie… C’est un monument dont les lignes architecturales se perdent dans l’Infini ; sa trop somptueuse grandeur rend impuissant le légitime désir d’en saisir les proportions, et, malgré soi, on a le sentiment qu’en déplaçant une toute petite pierre de l’énorme édifice il pourrait bien s’écrouler, à l’exemple de la catastrophe finale qui termine le Crépuscule des Dieux, engloutissant toute l’humanité, tan-