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français en lui. Le génie musical de la France c’est quelque chose comme la fantaisie dans la sensibilité… César Franck n’est pas français, il est belge. Mais oui, il y a une école belge ; après Franck, Lekeu en est un des plus remarquables représentant, ce Lekeu, le seul musicien, à ma connaissance qui ait subi l’influence de Beethoven. L’action de César Franck sur les compositeurs français se réduit à peu de chose ; il leur a enseigné certains procédés d’écriture, mais leur inspiration n’a aucun rapport avec la sienne…

J’aime beaucoup Massenet, Massenet a compris le vrai rôle de l’art musical. Il faut débarrasser la musique de tout appareil scientifique. La musique doit humblement chercher à faire plaisir ; il y a peut-être une grande beauté possible dans ces limites. L’extrême complication est le contraire de l’art. Il faut que la beauté soit sensible ; qu’elle nous procure une jouissance immédiate, qu’elle s’impose ou s’insinue en nous sans que nous ayons aucun effort pour la saisir. Voyez Léonard de Vinci, voyez Mozart. Voilà les grands artistes !

Claude Debussy

La Mise en Scène

Naturellement, les théâtres de l’État donnent l’exemple, à de trois rares exceptions près, de la plus parfaite incurie et du plus profond mépris pour la vérité. Sous ce rapport, l’Opéra détient le record, les contribuables paient une grasse subvention, les billes de mille coulent à flot et les résultats restent lamentables. À moins de souffrir d’une hypocondrie incurable, il est impossible de tenir son sérieux devant l’entrée des choristes qui se rangent militairement en deux compagnies, côté des hommes, côté des femmes, sans jamais se mêler, et qui conservent la même attitude, qu’ils représentent soit de nobles seigneurs de la Renaissance ou de farouches barbares du nord, soit de peux pèlerins ou de dévergondés soudars. Les vêtements de ces braves gens valent leur comportements ; un aimable éclectisme règne en maître dans la maison et, dans le Cid, par exemple, la robe carlovingienne fraternise avec le pourpoint de Charles v. Il est juste d’ajouter que Rodrigue qui vécut, je crois, au xie siècle, chante dans un décor dont la toile du fond montre deux flèches gothiques, et va pour fendre les Sarrasins en maillot de soie et nu-tête ! À une époque ou un coup d’épée fendait un homme en deux, je ne vois pas un chevalier allant guerroyer en si galant ajustement. Mais à notre Académie nationale de musique, la tradition est de ne jamais se couvrir, et on la respecte la tradition, c’est cette même tradition qui exige qu’à un acte, généralement le dernier, la première chanteuse paraisse vêtue en blanc. Robert le Diable, les Huguenots, Aïda, Sigurd et tant d’autres ont suivi cette règle auguste ; peu importe la date et le pays. L’héroïne s’enveloppe toujours d’un peignoir immaculé dont les manches laissent passer les bras, nus comme la tête du ténor. C’est immuable.

M. Sardou m’a raconté les luttes homériques et radicalement inutiles qu’il eut à soutenir avec le directeur de l’Opéra quand on joua Patrie. Au défilé des troupes espagnoles qui exécutent, par pelotons, des conversions savantes devant le trou du souffleur il demanda, il supplia qu’on laissât marcher à la diable ces bandes mal disciplinées, qu’on les habillât de vêtement fripés et rapiécés, qu’on leur distribuât des drapeaux décolorés et fanés. On haussa les épaules, et les figurants, fraîchement pomponnés, continuèrent à pivoter comme des grenadiers poméraniens. Sous ce rapport, la musique des lansquenets, dans Faust, marquant le pas et paradant coude à coude, ne manque pas non plus d’originalité, pas plus que l’Arnold, de Guillaume-Tell, qui se promène avec des manches de mousseline, une chemisette de batiste et un treillis de minces bandelettes de velours sur la poitrine. Les farouches montagnards, caparaçonnés de buffle et de peaux de chèvre qui chassèrent l’étranger de leur patrie, seraient bien étonnés de voir un de leurs chefs ainsi accoutré.

Généralement les décors valent les costumes, et sans m’étendre longuement sur le sujet, je citerai, comme exemple typique, la Cathédrale de l’Or dans Messidor, une sorte de caverne sans proportions, sans caractères, sans style, sans goût, qui rappelait les