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cette œuvre n’est pas dans l’esprit de l’Église qui admet cependant au service du culte « tout ce que le génie a su trouver de bon et de beau au cours des siècles, toujours d’après les lois liturgiques ». D’abord, le programme même, paré des noms des artistes en lettres relativement énormes, n’entrait certainement pas dans les vues pontificales ; cette mise en vedette d’exécutants qui devraient s’effacer leur était aussi contraire que les soli qui se sont succédés pendant l’office ; les huit Amen et divers passages bruyants du Gloria, l’allure dramatique toute scénique du Credo, l’anéantissement du recueillement de l’Élévation dans les Hosanna vigoureux du Sanctus, l’instrumentation, les arpèges de harpe, les soli féminins, la mention constante : « violoncelle solo (M. Destombes), » et enfin l’introduction, soulignée dans le programme, d’un véritable hors-d’œuvre, d’une excroissance, d’une élégie due à Samuel Rousseau, n’en voilà-t-il pas assez pour faire comprendre notre manière de voir ?

C’est donc inutilement que le pape a défendu « les psaumes du style de concert, les hymnes n’ayant pas la forme traditionnelle », et les soli, et qu’il a promulgué son encyclique comme « le code juridique de la musique sacrée, dont la scrupuleuse observance est imposée à tous ».

Dix jours plus tard, dans la même église, l’exécution de la messe de la Toussaint par les chanteurs de Saint-Gervais permettait une comparaison ; bien que la vente des billets d’entrée donnât toujours à la maison de la prière une apparence de salle d’audition, du moins la partie musicale ne comportait-elle « rien qui troublât ou diminuât la piété des fidèles, rien qui fut indigne de la majesté de Dieu » : le Propre de l’office était célébré en chant grégorien d’après l’édition de Solesmes, et trois chœurs de Vittoria, Palestrina et Gabrielli, chanté a capella à quatre voix, permirent d’apprécier le caractère d’immatérialité qui distingue la musique religieuse du xvie siècle. Les voix se superposent, les lignes mélodiques s’enchevêtrent et se dénouent de telle manière que l’auditeur éprouve une impression particulière de pureté, de sérénité, de certitude immuable ; les sons s’élargissent sous les voûtes comme des nuages d’encens ou les flots d’une mer mystique ; et l’on est frappé de l’impersonnalité de ces chants, qui avivent le sentiment religieux comme le provoque le spectacle de la vaste nature tranquille. Comme nos écrivains classiques, les maîtres Italiens créaient des œuvres objectives, tandis que Franck est un romantique ; ses compositions sont les épanchements de son cœur ; leurs idées directrices et leur forme révèlent sa façon de croire et de s’exprimer, et cette forme très personnelle est aussi très moderne, d’une complication harmonique séductrice qui n’est pas le langage d’une religion dogmatique, toute de croyances imposées et de préceptes austères.

Au surplus, le Maître d’un groupe nombreux de musiciens contemporains entre dans la gloire ; devant l’église Sainte-Clotile, s’érige un monument à César Franck, et le festival d’ouverture des concerts Colonne a soulevé des acclamations enthousiastes ; sans insister sur la symphonie en , sur le délicieux oratorio païen de Psyché, mentionnons l’exécution de la surhumaine Neuvième de Beethoven, et arrêtons-nous de préférence aux œuvres nouvelles.

Chez Colonne, le public a fait le meilleur accueil à un morceau des Scènes gothiques de M. Périlhou, le Jour des Morts, pièce sombre bâtie sur un thème obstiné en pesants triolets qui montent et descendent dans tous les tons, tandis que, comme des glas, résonnent de puissants accords, et qu’un rappel discret du Dies iræ clôt ce poème lugubre et coloré, d’une sorte de monotonie désolée impressionnante.

Passons sur deux ravissantes Danses pour harpe chromatique, de Claude Debussy ; la première audition, la plus remarquable du commencement de la saison est certainement celle que Chevillard a donnée de la troisième Symphonie d’Albéric Magnard, fêtée par des applaudissements enthousiastes et mérités. À un beau choral solennel, présenté surtout par les instruments à vent en accords d’une sonorité presque funèbre, succèdent un mouvement rapide, passionné, qui revêt par instants la volupté fiévreuse et emportée d’une bacchanale, puis des thèmes pleins de franchise classiquement traités. Le second morceau éclate de rude et simple allégresse, comme un air de danse populaire ; c’est net, vigoureux, joyeux, instrumenté de la façon la plus honnêtement réjouissante, tandis que la pièce suivante semble une idylle de tendresse mélancolique, de grâce parfumée, alanguie sans mièvrerie, un chant d’amour un peu suranné et exquis. Le final magnifiquement traité, se développe largement, plein de force et de vie, et le choral de l’introduction, reparaissant avec une gravité majestueuse, termine cette œuvre excellente qui fait le