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enthousiasmé, ne put se défendre de s’écrier à plusieurs reprises :

 « Nur ein Bach ! » — (Il n’y a qu’un Bach !) —


ce qui, soit dit en passant, n’était que médiocrement flatteur pour Emmanuel, son accompagnateur ordinaire. Toute la cour fit naturellement chorus en enchérissant sur les éloges du roi. Seul, le vieux Bach, n’était pas satisfait de son improvisation ; aussi, de retour à Leipzig, après un court séjour à Potsdam, dont le milieu ne le charmait guère, adresse-t-il au conquérant de la Silésie un hommage qu’il intitule : Offrande musicale (Musikalisches Opfer), et qui comprend deux fugues à trois et six parties, une fugue canonique, une sonate à quatre voix et neuf canons divers, le tout construit sur le thème royal.

Ceux qui ont lu cette œuvre extraordinaire ont pu se rendre compte de ce que Bach entendait par l’art de développer un thème.

Ce fut à la suite de ses succès à la cour que Mattheson, l’auteur de l’Ehrenpforte (Portique d’honneur), sorte de dictionnaire des musiciens avant Fétis, écrivit à Sébastien Bach pour lui demander communication de quelques détails biographiques destinés à être insérés dans cet important ouvrage, mais le bonhomme, peu sensible aux charmes maintenant si alliciants de l’interview, non seulement n’envoya point les renseignements demandés, mais ne répondit même pas à la lettre de Mattheson qui ne lui pardonna jamais ce manque d’égards ; aussi, dans l’Ehrenpforte, où l’on trouve des détails circonstanciés sur Emmanuel, Friedmann et Christian Bach et sur bien d’autres musiciens, oubliés aujourd’hui, le nom du vieux père Jean-Sébastien est absolument passé sous silence.

Quel riche sujet de méditation pour beaucoup de virtuoses ou compositeurs modernes qui ne donneraient point un concert, ne feraient pas exécuter une valse sans communiquer au préalable aux grands journaux du matin d’intéressants échos sur le vernis de leurs bottines ou la complication de leurs états d’âme !

Mais revenons à Emmanuel Bach, dont nous nous sommes trop longtemps éloignés. Au moment de la guerre de Sept ans, soit que Frédéric ii, de nature économe, négligeât plus que de raison la solde des musiciens de sa chambre, ceux-ci, las de jouer pour… le roi de Prusse, prirent successivement leur congé, et Philippe-Emmanuel se fixa en 1767 à Hambourg, où il recueillit la succession artistique de Telemann et où il mourut en 1788.

Nourri, dès son enfance, de haute et saine musique, il n’est pas étonnant qu’Emmanuel Bach présente en son style la sûreté et la solidité habituelle à ceux de son nom, cependant il eut le tact et la fortune de ne point tenter l’imitation de la manière de son père, et adopta, dès ses premières compositions, le genre galant. (On sait qu’on nommait à cette époque genre ou style galant, l’écriture à un nombre de parties non obligé.) Doté d’un esprit à ce point novateur qu’il ne s’effraie nullement de hardiesses rythmiques et harmoniques que Mozart ne se permit jamais, il fut amené à créer une forme nouvelle, celle de la sonate à deux thèmes, qui lui est bien propre et dont on ne trouve avant lui que des essais informes dans quelques suites de Domenico Scarlatti.

Les œuvres de Philippe-Emmanuel Bach, principalement celles où il se montre le plus hardi, n’obtinrent guère de succès à son époque, et il se vit forcé de graver lui-même et de publier par souscription ses dix-huit dernières sonates, les plus belles, avec cet entête, qui pourrait passer pour ironique : Clavier-Sonaten für Kenner und Liebhaber (pour les connaisseurs et les amateurs). Parmi les trois cent