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revue musicale de lyon

Citons encore une phrase d’une lettre autographe écrite de Vienne par un Français qui parle de notre auteur :

C’est un Allemand grossier, un cheval qui ne voit pas plus loin que sa musique…

Et comment écrit-il le nom de l’homme de génie qu’il caractérise en ces termes amènes ? Clouc.

Il nous est resté des polémiques gluckistes et piccinistes un amusant pamphlet imprimé sous le titre de : Lettre du serpent d’une paroisse de village à M. de La Harpe. Mathurin — c’est le serpent — écrit les mots comme il les entend, et voici son style :

Y avait dans notre journal tout plein de belles choses, car je n’y comprenions goutte. Ça parlait contre M. Guelouque… J’étions content parce que j’étions fâché contre ce beau M. Guelouque, à cause que M. le curé qui l’aime bian m’avait prêté un air de son plus nouveau opéra, et que ce diable d’air ne pouvait pas aller sur mon serpent…

Enfin, il est un dicton allemand dont le sens est qu’il n’y a que la différence d’un tréma qui empêche Gluck d’être le bonheur et Hænder d’être le commerce. Or, commerce se dit Handel et bonheur Glück.

Il ne saurait donc y avoir aucun doute : le nom du maître musicien doit s’écrire Gluck et se prononcer Glouck.

Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE

Première représentation d’Armide
12 Novembre

Dans des articles fortement documentés, nos confrères de la Presse quotidienne ont raconté en détail l’histoire de cette Armide, de l’aimable Quinault, mise deux fois en musique, à un siècle de distance, par Lulli et par Gluck, et ont noté avec le plus grand soin les différentes dates de sa création, en 1777, et de ses reprises à l’Opéra jusqu’en 1831, époque à laquelle, avant de disparaître de l’affiche pour soixante-quatorze ans, elle fut réduite en trois actes pour servir de lever de rideau à l’Orgie, ballete de Campra[1]. On sait, d’autre part, que l’œuvre de Gluck n’avait jamais été jouée à Lyon, et que ses dernières reprises en langue française furent données à Monte-Carlo, en mars 1895, avec Mlle Janssen, Mme Deschamps et M. Gibert et, à Béziers, au mois d’août dernier. Nous ne reviendrons pas sur cette partie historique non plus que sur l’analyse du sujet emprunté à la Jérusalem délivrée, et nous nous bornerons à porter un jugement personnel et rapide sur l’œuvre musicale de Gluck et son interprétation lyonnaise.

Avec le sujet, en quelque sorte romantique, d’Armide, nous évitons les ordinaires et solennelles bêtises que l’on ne manque pas de débiter lors de chaque reprise des œuvres écrites par Gluck sur des sujets antiques, à propos du prétendu caractère hellénique de sa musique et de sa parfaite adéquation à l’art grec ; mais nous avons dû subir, comme toujours, les habituels rapprochements faits par les « amateurs renseignés », ou qui croient l’être, entre Gluck et Wagner. Nous n’avons pas l’intention de discuter longuement l’inexactitude de tels rapprochements : si, d’une part, la musique d’Alceste ou d’Iphigénie ne rappelle pas plus l’art grec que Versailles ne fait penser au Panthéon, le système de Gluck est de même totalement différent de celui de Wagner. Sans doute l’un et l’autre musicien ont combattu le bon combat contre l’italianisme, en tendant de toutes leurs forces vers la vérité dramatique, mais leur manière d’agit est toute différente. Chez Wagner, la musique joue un rôle aussi important que le livret qu’elle complète, car elle commente sans cesse l’action dramatique et traduit, dans le clair langage des thèmes qui s’enchevêtrent, les sentiments, les pensées, l’état d’âme des personnages que le drame seul nous indique à peine. Chez

  1. De 1777 à 1831, Armide fut jouée 337 fois à l’Opéra.