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mœurs que de le propager autour d’eux. Il faut attendre que ce soient des apôtres venus d’Aquitaine, d’Irlande[1] ou d’Italie qui l’apportent en Alsace, en Suisse, dans les Pays-Bas, en Angleterre. La démoralisation et l’inertie du peuple valent celles de ses rois. Ce n’est pas la jeunesse, mais la déchéance qu’atteste la société des temps mérovingiens, et Grégoire de Tours (538-594) qui a vécu au milieu d’elle et en a été épouvanté, résume mélancoliquement son impression dans ces paroles découragées : 'mundus senescit, le monde vieillit.

Si l’on se reporte au commencement du viie siècle, on remarque donc que l’Europe occidentale, malgré les catastrophes qui se sont abattues sur elle et les bouleversements de toute sorte qu’elle a subis, n’a pas rompu avec l’évolution historique de l’antiquité. Elle la continue sur le même théâtre et sous les mêmes influences. Aucun indice n’annonce la fin de la communauté de civilisation établie par l’Empire romain des colonnes d’Hercule à la mer Égée et des côtes d’Égypte et d’Afrique à celles d’Italie ou d’Espagne. Malgré l’invasion germanique le monde nouveau n’a pas perdu le caractère méditerranéen du monde antique. Aux bords de la Méditerranée se concentre et s’alimente tout ce qu’il possède d’activité. Seul, le royaume franc, confiné dans son isolement septentrional, semble privé de toute chance d’avenir.

Or, de tout ce qu’il était alors naturel et rationnel de prévoir, rien ne s’est réalisé. Brusquement, un événement imprévu s’est jeté au travers du courant de l’histoire, a interrompu la série de ses causes et de ses conséquences, l’a fait en quelque sorte refluer sur soi-même, et, par ses répercussions inattendues, a coupé court à la tradition.

L’invasion musulmane à laquelle, du vivant même de Mahomet (571-632), personne n’avait pu ni songer ni se préparer, s’est abattue sur l’Univers avec la force élémentaire d’un cataclysme cosmique. Il ne lui a pas fallu beaucoup plus de cinquante ans pour s’étendre de la mer

  1. L’activité de l’Église irlandaise, loin d’infirmer la thèse exposée ici, la confirme au contraire. On sait que le christianisme fut introduit en Irlande, à l’époque romaine, par des missionnaires venus de Marseille.