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de Chine à l’océan Atlantique. Rien ne résiste devant elle. Du premier choc, elle renverse l’Empire perse (637-644) ; elle enlève successivement à l’Empire byzantin la Syrie (634-636), l’Égypte (640-642), l’Afrique (698), l’Espagne (711), la Corse, la Sardaigne, les îles Baléares, l’Apulie et la Calabre. Sa marche envahissante ne cessera qu’au commencement du viiie siècle, lorsque les murs de Constantinople d’une part (718), les soldats de Charles Martel de l’autre (732), auront brisé sa grande offensive enveloppante contre les deux flancs de la chrétienté. Alors elle s’arrête. Sa force d’expansion est épuisée, mais elle a suffi à changer la face de la terre. La poussée soudaine de l’Islam a détruit l’Europe antique. C’en est fait de la communauté méditerranéenne qui avait survécu à l’Empire romain. La mer familière et quasi familiale autour de laquelle elle se groupait devient subitement étrangère et hostile. Depuis des siècles, l’existence sociale, dans ses caractères fondamentaux, était la même sur tous les rivages ; la religion, la même ; les mœurs et les idées, les mêmes ou tout proches de l’être. L’invasion des barbares du nord n’avait rien modifié d’essentiel à cette situation. Et voilà que tout à coup les pays mêmes où notre civilisation était née, lui sont arrachés, que le culte du prophète s’y substitue à la foi chrétienne, le droit musulman au droit romain, la langue arabe à la langue grecque et à la langue latine. La Méditerranée avait été un lac romain : elle devient un lac musulman. La navigation byzantine n’ose plus s’y risquer au large ; elle ne dépasse plus les côtes de l’Italie méridionale. Plus de vaisseaux syriens dans la mer Tyrrhénienne. De l’intercours encore si actif au vie siècle entre l’Orient et l’Occident on perd toute trace au viiie siècle. La substitution qui s’accomplit en Gaule à cette époque de la monnaie d’argent à la monnaie d’or et du parchemin au papyrus nous fournit la preuve significative et irrécusable de sa disparition.

Ainsi, pour la première fois depuis son entrée dans l’Empire romain, l’Europe occidentale se trouve placée dans des conditions toutes nouvelles. La Méditerranée, qui l’avait jusqu’alors mise en contact avec le monde extérieur, n’est plus qu’une barrière qui l’isole. Coupée de