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FRANZ CUMONT

lement en buvant le sang d’un autre être vivant, un homme absorbe sa nature ou sa vie et la fait pénétrer dans la sienne, est une conception qui apparaît sous des formes très diverses chez les peuples primitifs. C’est d’elle que dérive la coutume très répandue de boire le sang encore chaud de son ennemi mort, et aussi l’habitude, observée par beaucoup de chasseurs sauvages, de manger quelque partie (par exemple le foie) de carnivores dangereux afin de faire passer en eux-mêmes le courage de l’animal[1]. » Pour des motifs aisés à concevoir, les non-civilisés de toutes les parties du monde ont souvent considéré le sang comme étant le siège de l’âme ou, pour employer une expression plus adéquate, de l’énergie vitale[2]. De là, parmi les rites divers qui ont pour but de transfuser dans le fidèle les qualités de l’animal sacrifié — usage de revêtir la dépouille de la bête, onctions de graisse, contact des résidus de la crémation — la fréquence de ceux où l’officiant boit, ou répand sur lui le sang de la victime[3]. C’est précisément ce qui avait lieu dans le taurobole où l’initié, non seulement recevait

  1. Robertson-Smith, op. cit., p. 313. Cf. Frazer, Le totémisme, p. 64 s. — En Grèce même, cet usage s’est perpétué dans les homophagies des mystères de Dionysos, le dieu ταυρόμορφος. Les fidèles dévoraient la chair crue d’un taureau (Firm. Mat. 6, 5, cf. Preller-Robert, Griech. Myth., p. 693, 695). « Ce n’était pas seulement une allusion à la passion de Zagreus et à son démembrement par les Titans ; comme le taureau est une des formes de Dionysos, c’était le corps du dieu dont se repaissaient symboliquement les initiés, c’était son sang dont ils s’abreuvaient dans ce banquet mystique. Ils croyaient ainsi faire descendre en eux Dionysos et remplir son âme de sa divinité ». Decharme, Mythologie de la Grèce, p. 438.
  2. Frazer, Golden Bough, 2e  éd., 1900, t. I, p. 353. — Le chien de Mithra lèche le sang du taureau immolé parce qu’il doit absorber son âme ; cf. mes Mon. de Mithra, t. I, p. 191. — Le sang, principe de vie, est employé pour combattre la stérilité ; cf. Sidney-Hartland, op. cit., t. I, p. 162.
  3. Hubert et Mauss, Essai sur la nature du sacrifice. (Extr. de l’Année sociologique, 1898), p. 76, p. 83.