Page:Revue d’économie politique, 1887.djvu/26

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vaux physiques qui imposent à un jeune corps l’effort constant d’une altitude pénible et contre nature, lui infligent une déformation définitive ? On vient de nous le dire : l’abus de la subtilité dégénérant en casuistique ; l’habitude de ne s’attacher qu’aux mots et non aux choses, de ne rien comprendre en dehors d’un texte à interpréter. Ailleurs, confondant dans une même réprobation les théologiens et les jurisconsultes : « Ils ne reconnaissent d’autre autorité que la tradition, où ils puisent la science absolue, complète. Ne leur a-t-on pas enseigné qu’ils savent le dernier mot du bien et du mal ? D’une part, la Bible, les Pères, les décrets des papes et des conciles ; d’autre part, le Corpus juris et le Code civil contiennent tout ce qu’il est utile de savoir. Hors de là, il n’y a qu’erreur et mensonge, ou, tout au plus, fantaisie personnelle plus ou moins ingénieuse, opinion plus ou moins probable[1]. »

Est-ce bien là le tableau fidèle de l’activité intellectuelle d’un jurisconsulte qui enseigne le droit ? Est-il vrai qu’il se renferme dans le commentaire d’un texte, et que, pour expliquer ce texte, en saisir l’esprit, en mesurer la portée et les conséquences, il n’a besoin d’aucun secours étranger ? Pour quiconque sait un peu ce qu’est, ce que doit être l’enseignement du droit, ces assertions ne supportent pas un seul instant l’examen. À l’École de droit, on n’explique pas seulement les textes, la législation ; on enseigne la science du droit. Cette science pourrait très bien être enseignée sans le secours des textes : ce serait un cours de droit naturel. On enseigne le droit à propos des textes qu’on ne se borne pas à commenter, à paraphraser, mais qu’on juge et critique, dont on dit qu’ils sont ou non conformes au droit. On a dit : il n’y a pas de droit contre le droit ; on a opposé le droit à la légalité, en abusant peut-être un peu de cette formule ; tout cela signifie simplement qu’une loi peut être mal faite, mauvaise, contraire au droit, ce qui n’empêche pas qu’une mauvaise loi doit être obéie tant qu’elle n’a pas été abrogée.

On parle du Corpus juris et du Code civil comme d’un formulaire, d’un codex ou pharmacopée, qu’il suffirait de se loger dans la mémoire. La science du droit et la connaissance de la législa-

  1. M. Courcelle-Seneuil, Des obstacles qui s’opposent à la diffusion des connaissances économiques. Journal des économistes de septembre 1875, p. 313.