Page:Revue d’économie politique, 1888.djvu/460

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peuvent enrichir une nation, conclusion si contraire aux enseignements les plus certains de l’histoire, une légion d’écrivains de toute nationalité s’élèvent contre eux, et des esprits sagaces demandèrent s’il est bien exact que dans l’échange aucune des parties ne gagne.

Ce sont ces doctrines qui ont été l’origine véritable de l’œuvre de Smith : « La richesse des nations. »

On a bien dit que Smith professait à Glasgow les doctrines mêmes qu’il a ensuite consignées dans son livre. Mais on ne possède pas une ligne de son enseignement. Il peut être vrai qu’il ait parlé à Glasgow en faveur de la liberté du commerce, mais il y avait nombre d’autres écrivains qui en faisaient autant.

En 1763, Smith voyageait à l’étranger comme précepteur du jeune duc de Buccleuch, et il fit à Paris la connaissance des économistes, alors à l’apogée de leur gloire. En 1766, il revint à Kirkcaldy, lieu de sa naissance, et consacra dix années à la composition de son ouvrage, qui parut en 1776. C’est donc une erreur absolue de considérer Smith soit comme le fondateur de l’économie politique, soit comme l’initiateur de la liberté commerciale. C’est en 1759 que fut publié le code des économistes, dont la liberté commerciale était un principe cardinal. L’ouvrage de Smith n’a paru qu’en 1776[1].

La même année, Condillac, le métaphysicien bien connu, publia un ouvrage intitulé « Le commerce et le gouvernement, » écrit sur un plan très semblable et dans un but identique à celui de Smith, à savoir que dans un échange les deux parties profitent ; mais sa démonstration n’est pas bien satisfaisante. Smith seul prouva, par un raisonnement irréfutable, beaucoup trop long et compliqué pour être rapporté ici, que le commerce profite des deux côtés, et, naturellement, par une conséquence nécessaire, que le commerce et les manufactures enrichissent une nation, et, par suite, que ceux qui s’y adonnent sont des travailleurs productifs.

Peut-être semble-t-il que la théorie est si évidente qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée ; mais il est loin d’en être ainsi. À l’époque où Smith en fit la démonstration, c’était un vrai paradoxe, contraire à une opinion universelle et séculaire. C’est main-

  1. Cet aveu par l’éminent économiste anglais d’une vérité, qui n’est d’ailleurs pas contestable, est précieux à retenir.
    (Note de la rédaction.)