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Page:Revue de Belgique, série 2, volumes 58-59, 1910.djvu/358

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Bruckner occupe une place toute spéciale dans l’histoire de la musique au XIXe siècle ; sa figure, dans notre temps moderne, a quelque chose d’antique ; il semble, comme Alfred de Vigny, avoir vécu dans sa tour d’ivoire et, lorsque nous nous trouvons en sa présence, au premier abord nous restons tout dépaysés. C’est que Bruckner, esprit éminemment religieux, tout de sérénité, de grandeur calme, s’adresse à l’âme, alors que la plupart des musiciens modernes subissent fortement l’influence des philosophes. Bruckner était un mystique, partant d’une naïveté surprenante ; ce n’était pas un esthéticien, mais un impulsif créateur. Il sentait en lui un besoin impérieux d’écrire, et ses créations naissaient sous l’influence de son génie musical seul, indépendant de toute influence philosophique ou poétique. Toutes ses œuvres, particulièrement ses symphonies, sont des monuments à structure colossale, à élévation grandiose[1].

Il dépeint admirablement la souffrance, les grandes secousses, comme il excelle dans la douceur et la suavité ; le rêve, chez lui, a quelque chose d’enfantin et l’amour de la nature est des plus vivace. Il semble même bizarre que Bruckner, ayant subi fortement l’influence de Wagner, Liszt et Berlioz, soit resté si personnel et c’est là son plus grand mérite : avoir su éviter la contagion wagnérienne qui a si longtemps annihilé la personnalité de presque tous les compositeurs de la seconde moitié du siècle dernier.

Anton Bruckner est le seul qui ait compris le danger qu’il y avait à marcher dans la voie tracée par Wagner et qui ait su profiter de l’œuvre du maître allemand, tout en restant essentiellement personnel. Bruckner est le seul qui se soit résolument écarté du théâtre pour introduire dans la symphonie pure l’orchestration wagnérienne. C’est le seul qui

  1. Dans presque toutes ses œuvres nous trouvons comme indication de mouvement : feierlich.