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la revue de genève

guère loué que les bonnes mœurs et l’aimable honnêteté du nouvel académicien. Ses contemporains, trop préoccupés d’émettre des idées pour s’attarder aux jeux frivoles de l’esprit, reprochaient à Marivaux d’avoir musé dans tous les sentiers du cœur humain et d’en avoir manqué la grande route. Alors, vieil artiste dépaysé parmi des hommes qui prétendent penser, il s’efforce d’atteindre à la gravité ; pour vivre, ce délicat poète qui avait de l’esprit jusqu’au fond du cœur part en guerre contre les vices et les travers de son temps, contre la vanité des préjugés nobiliaires, qu’il dénonce dans l’Education d’un Prince, contre la « gloriole » qu’il ridiculise dans quatre lettres publiées par le Mercure, cette gloriole qui poussera la naïve madame la Thibaudière à affecter des allures dont elle est la première à s’effrayer.

Et pourtant dans cette Provinciale, comédie d’un moraliste malgré lui, la fantaisie l’emporte sur la vérité, et l’urbanité sur la satire. Lorsque il raille un travers féminin, Marivaux atténue toujours la responsabilité des femmes ; il semble les mettre seulement en garde contre les défauts dont elles pourraient souffrir et leur voue une secrète reconnaissance d’exprimer si librement la nature qu’il se plaît à idéaliser. Créées en un temps où Marivaux avait passé l’âge d’aimer, (ou plutôt d’être aimé, car l’âge d’aimer, le passe-t-on jamais ?) madame la Thibaudière et Cathos ne sont pas absolument ridicules ; on les plaint ; et lorsque l’orgueil les pousse à ce degré de niaiserie où un auteur abandonne son personnage aux risées de la foule, une naïveté leur échappe, une réflexion candide ramène en leur faveur un sourire attendri. Hélas, tant de bonne grâce ne touchait plus les caillettes qui, depuis vingt ans, embouchaient la trompette de Milton avec madame du Boccage, forçaient le sanctuaire des sciences avec la divine Emilie, mesuraient le monde, anatomisaient l’âme, ou fouillaient dans le sein de la matière pour y trouver des monades et accréditer Leibnitz.

Mais la peinture de l’esprit provincial, de l’attrait exercé par la capitale et la Cour, n’est-elle pas trop chargée, et la Provinciale n’est-elle pas alourdie par ce souci d’édification qui caractérise les tableaux de cette époque ?