Page:Revue de Paris, 29è année, Tome 5, Sep-oct 1922.djvu/869

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Pour cela on imagina d’exploiter les caterpillars (chenilles), qui notamment aux États-Unis et en Tunisie permettaient de mener la charrue par les vastes labours. Les roues de la voiture automotrice étaient montées sur de larges rails, formés de plateaux articulés, qui, comme une chaîne sans fin, se déroulaient devant elles à mesure qu’elles avançaient et, véritables crémaillères s’agrippant au sol, permettaient de circuler partout. Il suffisait d’y remplacer la charrue par le canon ou la mitrailleuse et de la blinder.

L’idée était dans l’air. Elle fut réalisée presque simultanément et, chose curieuse, sans qu’ils aient eu la moindre connaissance de leurs travaux respectifs, par les Anglais avec leurs « tanks » [1], par les Français avec les « chars d’assaut » Schneider et Saint-Chamond.

Les premiers essais — essais prématurés d’ailleurs — n’eurent pas le succès qu’on avait espéré. Mais ces mécomptes ne découragèrent pas les partisans du nouvel engin. Ils en tirèrent un enseignement qui ne faisait d’ailleurs que confirmer leurs idées. En fait, comme nous l’avons indiqué, le problème était double : il s’agissait d’une part d’ouvrir la brèche dans l’organisation ennemie ; d’autre part de permettre à l’infanterie de poursuivre sa progression. On ne pouvait confier ce double rôle à un appareil omnibus. Il fallait opérer la division du travail en faisant la rupture avec des chars lourds et puissants, l’exploitation avec des chars plus légers, plus mobiles, plus rapides, plus nombreux, assez souples pour accompagner l’infanterie en tout terrain au delà des premières lignes. Ceux-ci constituaient en somme, en avant des vagues d’attaque, un véritable barrage roulant, non plus automatique et aveugle, comme celui des obus, mais intelligent et clairvoyant.

L’idée de la création de ce char léger était déjà venue au général Estienne en juin 1916, au cours d’une visite faite aux ateliers anglais, où l’on construirait de gros appareils.

  1. Les Anglais, pour garder au début le secret de la nouvelle invention, l’avaient d’abord dénommée Water Carrier (porteur d’eau), voulant faire accroire qu’il s’agissait simplement de citernes portatives. Mais, avec la manie de tout désigner par des initiales, il y eut là un sujet de plaisanterie trop facile et ils adoptèrent le mot de tanks (réservoir).