Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/119

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Les poèmes de Leconte de Lisle sont éloquents, et l’éloquence, surtout en vers, est dépréciée. La Grèce reste une source d’intérêt éternel, et nous admirons toujours la Jeune Tarentine et le Satyre : pourquoi la Grèce de Leconte de Lisle, si éloquemment comprise, suscitée en vers puissants, en strophes substantielles nous semble-t-elle désaffectée ? Nous nous intéressons à l’Inde plus que jamais, et Leconte de Lisle est le seul de nos poètes, avec Jean Lahor, qui ait pris les mythes hindous pour thèmes épiques ou lyriques pourquoi Baghavat et Çunacepa, bien mieux écrits que la Chute d’un Ange, nous sont-ils tellement plus étrangers ? Tout simplement le clinamen, la ligne serpentine, le tremblement de la vie, manquent à cette poésie. L’auteur d’Anthinea, arrivant pour la première fois, en 1896, à Athènes par la pluie, loue cette eau et cette nuée de lui montrer d’abord que la Grèce vivante n’a rien de commun avec celle de M. Leconte de Lisle, ainsi que Moréas, d’ailleurs, qui en venait, ne cessait de le répéter au café Vachette.

Mais si nous n’accordons au bibliothécaire mythologue qu’une estime correcte, une place éminente dans l’histoire littéraire et une principauté dans le Parnasse, le pasteur d’éléphants doit nous toucher de plus près, et des deux le grand poète c’est lui. Poète des éléphants, des grands fauves, des chiens sauvages, de l’aigle mongol et du condor.

D’un point de l’horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l’on voit
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.

Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps
Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine ;
Sa tête est comme un roc, et l’arc de son échine
Se voûte puissamment à ses moindres efforts.

Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche,
Il guide au but certain ses compagnons poudreux ;
Et, creusant par derrière un sillon sablonneux,
Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.

Voilà son domaine. Il est le plus grand et même le seul animalier de notre poésie, ou, si l’on veut, il met ici dans la nature tropicale un peu de ce que La Fontaine met à nos coins