de campagne française. Non seulement il avait passé sa jeunesse dans son île natale de la Réunion, mais il avait voyagé dans l’Inde, dans les îles de la Sonde. Lui qui ne connut jamais l’Italie ni la Grèce, avait gardé ces paysages dans les yeux : il les anime avec leurs fleurs, leurs reptiles, leurs oiseaux de feu et leurs fauves, il les fait entrer dans la poésie. Il n’est pas seulement, comme Parny, un poète né dans une colonie française, il est notre premier et jusqu’ici notre grand poète colonial.
Ce pays de tropique, non seulement le poète de la Bernina, de la Fontaine aux Lianes, du Manchy, l’a recréé dans ses paysages, non seulement le poète du Sommeil du Condor, des Hurleurs, de la Forêt vierge, l’a rendu dans sa vie élémentaire, mais encore le poète de l’Illusion suprême, d’Ultra Cœlos, de Dies Iræ, lui a donné une âme religieuse, épouvantée et tragique. Ce n’est pas dans les poèmes hindous de Leconte de Lisle que nous éprouvons la présence de Siwa, mais dans ses poèmes personnels. L’aventure de Pétrarque, sauvé par les sonnets du naufrage de l’Africa, sur laquelle il comptait pour lui donner la gloire, est une aventure éternelle.
Théodore de Banville est resté, avec Leconte de Lisle, pour le Parnasse, le maître de la forme, et aussi son théoricien, puisque le Traité de poésie française est le seul livre de ce genre qu’ait écrit un illustre poète français. Que Leconte et Banville, qui sont de la même génération, nés et morts à peu d’années l’un de l’autre, appartiennent à la même veine littéraire, faisant équipe dans les bibliothèques et pour la critique, cela nous montre que la communauté d’une école poétique consiste dans une forme beaucoup plus que dans des sentiments, qu’une école n’agit avec vivacité et ampleur, ne s’arrondit en domaine global et organisé, que si par un élan unique créateur de formes, elle comporte des tempéraments opposés, exprime en un même langage des natures humaines violemment différentes, c’est-à-dire complémentaires. C’est le cas de nos deux poètes.
En face de cette destinée de Leconte de Lisle, qui portait comme un fruit naturel le jugement que le monde est mauvais, qu’il serait absolument mauvais sans la circonstance atténuante qu’on meurt et qu’il mourra, voici la nature la plus