Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/121

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heureuse, la narine ouverte aux parfums, la voix prête au rire, les yeux qui brillent à la lumière, l’amitié des hommes et des choses, l’amour des femmes et des roses, et la vie dans la poésie comme un mouvement de nageur dans la mer. Il ne vient pas, celui-là, des Indes, des terres à esclaves et du royaume de Siwa ; il est né en plein centre de la France, à Moulins, et il pousse, et il parle, et il vit, et il écrit en plein centre de l’héritage français, dont le royaume de poésie lui appartient par droit de naissance, un royaume inépuisable qu’il mange en herbe, qu’il mange en fleur. C’est le roi René, mal jugé ou peu jugé par l’histoire, qui l’a laissé de côté, et ne voit que Louis XI, de même que Brunetière, qui ne retenait que Leconte de Lisle, refusera l’être au futile Théodore. Non plus le bibliothécaire pasteur d’éléphants, mais Pierrot chez les petits lapins.

Nous sommes les petits lapins,
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et n’ayant pas de calepin,
Nous ne prenons jamais de notes.

Nous ne cultivons pas le Kant ;
Son idéale turlutaine
Rarement nous attire. Quant
Au fabuliste La Fontaine,

Il faut qu’on l’adore à genoux,
Mais nous préférons qu’on se taise,
Lorsque méchamment on veut nous
Raconter une pièce à thèse.


Ce poète n’était donc pas un penseur. On le lui fit bien voir. Par la critique, et d’abord par les normaliens de la grande promotion, Banville fut traité comme un innocent qui savait bien faire les vers, un Pierrot ingénu et malicieux qu’on ne pouvait, ni en bien ni en mal, prendre au sérieux. Il est remarquable que l’étude que lui consacre Lemaître dans les Contemporains, et qui est la première du premier volume, s’ouvre par ces lignes, pur jus de cette critique critiquante de critiqueur : « M. Théodore de Banville est un poète lyrique hypnotisé par la rime, le dernier vers, le plus amusé, et, dans ses bons jours, le plus amusant des romantiques, un clown de poésie, qui a eu, dans sa vie, plusieurs idées, dont la plus per-