Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/122

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sistante a été de n’exprimer aucune idée dans ses vers. » Il se maria sur le tard avec une femme à souhait, faite au moule à pâtisserie, qui lui assura une vieillesse délicieuse de petits plats, de bons vins, d’eau bénite, et d’amitiés fidèles, une de ces Titanias qui en dix ans font d’un âne un académicien ; mais elle connut qu’il n’y avait rien à tenter pour mener Pierrot chez les Quarante : cet homme incarnait l’esprit de frivolité, il ne comptait pas dans l’évolution de la poésie lyrique, coupe d’eau pleine qui n’admet plus, comme au temps de Zadig, le pétale de rose.

Et pourtant… Comme on voit que la critique n’est pas faite par les poètes ! Méprisé des grands normaliens, haï des penseurs, toujours les poètes, de quelque école qu’ils fussent, l’ont aimé, tant symbolistes que parnassiens et que romantiques. Ils en ont pensé et dit ce qu’un peintre pense et dit de Tiepolo. Il y a quelque chose de sacré dans l’homme qui vit parmi les vers comme le peintre parmi la lumière et les couleurs, de sacré dans la virtuosité technique de l’artiste consubstantiel à son métier, lorsqu’elle est unie à la flamme vive du poète consubstantiel à la poésie. Cela, Banville l’a connu, l’a rendu. Les Odes funambulesques, les Exilés, le Forgeron, ses trois chefs-d’œuvre (et le dernier, un des mythes les plus solides, les plus amples, les mieux trouvés qu’ait fait vivre un poète français) créent un climat poétique, placent le lecteur dans le pays pur de la poésie, dans l’idée de la poésie, dans des idées de poésie, des idées qui en valent d’autres, une vision du monde plus vraie que la vision abstraite. Je sais bien : il y a peut-être entre le goût des vers et le goût de la Poésie, ou le goût tout court, la même différence qu’entre le goût pour les femmes et l’Amour. Mais il y a des hommes chez qui ils coïncident, et pour Banville le monde des vers et la Poésie ne faisaient qu’un, où il était roi.

Banville, mieux que personne, nous fait comprendre qu’il n’y a eu au XIXe siècle qu’une Poésie, dont romantisme, Parnasse et symbolisme ont été des prénoms. Évidemment il est aussi romantique que personne. Quand il publie les Cariatides, en 1842, l’année où commence la retraite du romantisme, pendant les douze ans de silence lyrique de Victor Hugo, et après qu’ont commencé les silences définitifs de Lamartine