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LA REVUE DE PARIS

d’eux en les reproduisant par d’innombrables images sur les voûtes concaves et sur les hautes murailles. Alors Donna Andriana dit : « Eh bien ! je promets solennellement que Stelio Effrena aura sa fête triomphale à Venise. » La Dogaresse avait parlé. Au même instant, sur la rive basse et verdâtre, je vis un grenadier lourd de fruits qui, comme une hallucinante apparition, rompait la tristesse infinie de ces lieux. Donna Orsetta Gontarini, qui était assise à mon côté, poussa un cri de joie et tendit ses deux mains, aussi impatientes que ses lèvres.

» Il n’y a rien qui me plaise tant que l’expression franche et forte du désir. « J’adore les grenades ! » s’écria-t-elle ; et on sentait que déjà elle en avait sur la langue la fine saveur aigrelette. Elle était enfantine comme son nom archaïque. Ce cri me toucha ; mais Andréa Contarini semblait désapprouver sévèrement la vivacité de sa femme. Voilà, ce me semble, un Hadès qui a peu de foi en la vertu mnémonique des sept grains appliquée au mariage légitime… Cependant les rameurs s’étaient émus aussi, et ils abordaient au rivage ; de sorte que je pus sauter le premier sur l’herbe et me mis à dépouiller l’arbre fraternel. C’était bien le cas de répéter, avec une bouche païenne, les paroles de la Cène : « Prenez et mangez, car ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi… » Que vous en semble, Perdita ? N’allez pas croire, au moins, que j’invente. Je dis la pure vérité.

Elle se laissait séduire à ce jeu libre et élégant où il essayait l’agilité de son esprit et la facilité de sa parole. Il y avait en lui quelque chose d’ondoyant, de mobile et de vigoureux qui suggérait à cette femme la double et diverse image de la flamme et de l’eau.

— Or, — continua-t-il, — Donna Andriana a tenu sa promesse. Guidée par ce goût héréditaire de la magnificence qui se conserve en elle si parfaitement, elle a préparé une véritable fête ducale dans le palais des Doges, à l’imitation de celles que l’on y célébrait vers la fin du xvie siècle. L’idée lui est venue de tirer de l’oubli l’Ariane de Marcello et de la faire soupirer en ce même lieu où le Tintoret a peint la fille de Minos recevant d’Aphrodite la couronne d’étoiles. Ne recon-