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LE FEU

destructions merveilleusement faciles qui simulent dans l’eau esclave les libres vicissitudes du ciel ; la fulgurante vibration lumineuse depuis les croix des coupoles gonflées de prière jusqu’aux petits cristaux salins pendus sous l’arche des ponts ; et l’Époux lui-même, incliné sur son char de feu vers la Cité belle, et dans ce juvénile visage inhumain ces lèvres pleines de murmures et de sylvestres silences, et cette sorte de bestialité délicate et cruelle qui contrastait avec de profonds regards d’entendement, et ce sang qui bondissait par tout son corps jusqu’aux pouces de ses pieds agiles, jusqu’aux extrêmes phalanges de ses mains fortes, et tout l’or fauve et toute la pourpre qu’il portait avec lui, — tout passa et rayonna dans la voix du poète… Avec quelle passion, palpitante en ses mille ceintures vertes et sous ses immenses colliers, la Cité s’abandonnait au dieu magnifique !

Alors, emportée dans la spire ascendante des paroles, l’âme de la multitude parut s’élever tout à coup au sentiment de la Beauté comme à une cime jamais atteinte. L’éloquence du maître était secondée par l’expression de toutes les choses d’alentour ; elle semblait reprendre et continuer les rythmes auxquels obéissaient toute la grâce et toute la force figurées sur ces murailles, elle semblait résumer les concordances idéales entre ces formes que l’art humain avait créées et les qualités de l’atmosphère naturelle où elles se perpétuaient. Voilà pourquoi son verbe avait tant de pouvoir et son geste amplifiait si aisément les contours des images ; voilà pourquoi, en chacun des mots prononcés, la vertu suggestive du son rehaussait à ce point le sens de la lettre. Ce n’était pas seulement l’habituel effet d’une communication électrique établie entre l’orateur et l’auditoire ; c’était aussi l’enchantement qui gagnait toutes les pierres du prodigieux édifice et prenait une extraordinaire vigueur à l’insolite contact de toute cette humanité agglomérée et palpitante. Le frisson de la foule et la voix du poète semblaient rendre leur vie primitive aux murs séculaires et ressusciter dans ce froid musée l’esprit originel : — un noyau de puissantes idées, concrétées et organisées dans les substances les plus durables pour attester la noblesse d’une race.

La splendeur d’une jeunesse divine descendait sur les femmes,