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LE FEU

que tu gardes le silence. Alors naissent en moi les choses qui, avec le temps, t’émerveilleront. Tu m’es nécessaire.

— Ne dis pas cela !

— Chaque jour tu me confirmes dans l’assurance que toutes les promesses me seront tenues.

— Oui, tu l’auras, ta belle destinée ! Pour toi, je n’ai pas de crainte. Tu es sûr de toi. Nul péril ne peut t’étonner, nul obstacle ne peut interrompre ta marche… Oh ! pouvoir aimer sans craindre ! On craint toujours, quand on aime… Si je crains, ce n’est pas pour toi. Tu me parais invincible. Merci pour cela encore !

Elle montrait sa foi profonde comme son amour, illimitée et lucide. Longtemps, même dans l’ardeur de sa propre lutte et les vicissitudes de sa vie nomade, elle avait tenu les yeux fixés sur cette jeune existence victorieuse comme sur une forme idéale née de la purification de son propre désir. Plus d’une fois, dans la tristesse des vaines amours et dans la noblesse du renoncement imposé, elle s’était dit à elle-même : « Ah ! si enfin, de tout mon courage qui s’est endurci sous les tempêtes, de toutes les choses fortes et limpides que la douleur et la révolte ont découvertes au fond de mon âme, si enfin, du meilleur de moi-même, je pouvais un jour te façonner des ailes pour le suprême essor ! » Plus d’une fois sa mélancolie s’était enivrée d’un pressentiment héroïque. Et elle avait assujetti son âme à la contrainte et à l’effort, elle l’avait exaltée jusqu’à la plus haute beauté morale, conduite vers les actes douloureux et purs, seulement pour mériter ce qu’elle espérait et craignait à la fois, seulement pour se sentir digne d’offrir sa servitude à celui qui était impatient de vaincre.

Et voilà que, par un heurt brutal et imprévu de la fatalité, elle avait été jetée devant lui comme une de ses maîtresses, avec toute sa chair tremblante. Elle s’était mêlée à lui par tout ce qu’il y avait de plus âcre dans son sang. Sur le même oreiller, elle l’avait vu écrasé par la torpeur pesante de la fatigue d’amour ; elle avait connu, à son flanc, les réveils soudains qu’agite une frayeur cruelle, et l’impossibilité de refermer les paupières lasses, par crainte qu’il ne l’observât pendant le sommeil avec des yeux trop lucides.