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LA REVUE DE PARIS

— Rien ne vaut ce que tu me donnes, — dit Stelio en lui serrant le bras et en cherchant sous le gant son poignet nu, par un besoin fiévreux de sentir la palpitation de cette vie dévouée, le battement de ce cœur fidèle, dans ces lieux désolés où ils cheminaient, sous ce brouillard blême qui les enveloppait et assourdissait le bruit de leurs pas. — Rien ne vaut la certitude de ne plus être seul, jusqu’à la mort.

— Ah ! tu le sens donc enfin, tu le crois donc enfin, que c’est pour toujours ! — s’écria-t-elle avec un transport de joie, en voyant son amour triompher. — Oui, pour toujours, Stelio, quoi qu’il arrive, où que ta destinée te conduise, de quelque façon que tu veuilles être servi, de près, de loin…

Dans l’air brumeux se répandait un bruit confus et monotone, qu’elle reconnut. C’était, dans le jardin de la comtesse de Glanegg, le chœur dès moineaux rassemblés sur les grands arbres moribonds. La parole s’éteignit sur ses lèvres. Elle fit le mouvement instinctif de se retourner, d’entraîner avec elle son ami vers un autre lieu.

— Où allons-nous ? — demanda-t-il, surpris par le mouvement brusque de sa compagne et par cette interruption inattendue, qui était comme la fin d’un enchantement ou d’une musique.

Elle s’arrêta. Elle sourit de son faible sourire énigmatique. « Avec le temps ! »

— Je voulais fuir, dit-elle ; mais on ne peut pas.

Elle était là comme une flamme pâle.

— J’avais oublié, Stelio, que je vous conduisais vers la maison close.

Elle était là, dans le jour cendré, n’ayant plus aucune force, perdue comme au milieu d’un désert.

— Il me semblait que nous avions un autre but. Mais nous voici arrivés. Avec le temps !

Elle lui apparaissait maintenant telle qu’en cette nuit inoubliable, quand elle avait supplié : « Ne me faites pas de mal ! » Elle était là, vêtue de sa tendre âme secrète, si facile à tuer, à détruire, à immoler sans effusion de sang.

— Allons-nous-en, — dit-il, avec un geste pour l’emmener ; — allons-nous-en ailleurs…

— On ne peut pas !