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LA REVUE DE PARIS

— Il ne m’est pas donné, à moi, d’entendre ce que tu entends, — répondit le stérile ascète à l’esprit génial. — J’attendrai que tu puisses me redire la parole que la Nature t’aura dite.

Ils tremblaient tous deux, au fond de leur cœur, l’un très lucide, l’autre inconscient.

— Je ne sais plus, dit Stelio, je ne sais plus… Il me semblait…

Maintenant échappait à sa connaissance le message qu’il avait reçu dans une sorte d’extase fugitive. Le travail de son esprit recommençait ; sa volonté ressuscitait, agitée par d’anxieuses aspirations.

— Ah ! rendre à la mélodie sa simplicité naturelle, sa perfection ingénue, sa divine innocence, la tirer toute vive de la source éternelle, du mystère même de la nature, de l’âme même de l’Univers ! As-tu jamais médité ce mythe qui se rapporte à l’enfance de Cassandre ? Une nuit, on la laissa dans le temple d’Apollon ; et, au matin, on la retrouva étendue sur le marbre, enlacée dans les anneaux d’un serpent qui lut léchait les oreilles. Depuis lors, elle comprit toutes les voix éparses dans l’air, elle connut toutes les mélodies du monde. La puissance de la Divinatrice n’était qu’une puissance musicale. Une partie de cette vertu apollinienne entra dans les poètes qui coopérèrent à la création du Chœur tragique. Un de ces poètes se vantait de comprendre les voix de tous les oiseaux ; et un autre, de s’entretenir avec les vents ; et un autre, d’entendre parfaitement le langage de la mer. Plus d’une fois j’ai rêvé que j’étais étendu sur le marbre, enlacé dans les anneaux de ce serpent… Pour qu’il nous fût donné de créer l’art nouveau, il faudrait, Daniele, que ce mythe se renouvelât !

Il parlait avec une chaleur croissante ; mais, tout en s’abandonnant au flot de ses pensées, il continuait à sentir qu’une obscure partie de lui-même demeurait en communion avec l’air sonore.

— T’es-tu jamais demandé quelle pouvait être la musique de cette sorte d’ode pastorale que le chœur chante dans Œdipe Roi, lorsque Jocaste s’enfuit, saisie d’horreur, et que le fils de Laïus garde pourtant l’illusion d’une dernière espérance ? Tu te rappelles ? « Ô Cithéron, j’en prends l’Olympe à témoin, avant que s’achève une autre pleine lune… » L’image des mon-