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LE FEU

— Déjà l’air commence à fraîchir.

— Tu as froid ?

— Non, pas encore.

— Tu as laissé ton manteau dans la voiture ?

— Oui.

— Nous attendrons à Dolo le passage du train. Nous rentrerons par le train à Venise.

— Oui.

— Nous avons encore le temps.

— Qu’est-ce que cela ? Regarde.

— Je ne sais…

— Quelle odeur amère ! Un bosquet de buis et de charmilles…

— Ah ! c’est le labyrinthe.

Il était clos par une grille de fer toute rouillée, entre des pilastres qui portaient deux Amours à cheval sur des dauphins de pierre. De l’autre côté de la grille, on n’apercevait que le commencement d’un sentier et une espèce de taillis enchevêtré et dur, une apparence mystérieuse et touffue. Au centre du dédale se dressait une tour ; et, sur le faîte de la tour, la statue d’un guerrier semblait en vedette.

— Es-tu jamais entrée dans un labyrinthe ? — demanda Stelio à son amie.

— Jamais, répondit-elle.

Ils s’attardèrent à examiner ce jeu illusoire combiné par un jardinier ingénieux pour l’amusement des dames et des sigisbées, au temps des paniers et des gilets fleuris. Mais l’âge et l’abandon l’avaient rendu sauvage et triste, lui avaient enlevé tout caractère de grâce et de régularité, l’avaient changé en un épais fourré d’un brun jaunâtre, plein d’inextricables détours, où les rayons obliques du couchant rougeoyaient si fort que, çà et là, les buissons ressemblaient à des bûchers qui brûleraient sans fumée.

— Il est ouvert, — dit Stelio, qui, en s’appuyant sur la grille, avait senti qu’elle cédait. — Tu vois ?

Il poussa le fer rouillé, qui grinça sur ses gonds disjoints ; puis il franchit le seuil et fit quelques pas en avant.

— Où vas-tu ? — lui demanda sa compagne avec une frayeur instinctive, en allongeant la main pour le retenir.