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SOUVENIRS ET PORTRAITS

deux hommes à cheval en blouses rouges, et dont le bonnet rouge était orné d’une large cocarde : il était suivi d’une petite carriole dans laquelle était assis un homme pâle, maigre et sérieux, que cherchaient tous les regards. Ce n’était cependant pas Schneider.

Une légère rumeur, qui ne tarda pas à s’étendre au loin, annonça que Saint-Just allait paraître au balcon. Il y avait dans sa démarche une sorte de brusquerie solennelle : il ne cherchait pas l’accueil du peuple ; il le réprimait, au contraire, d’un geste sec et absolu. Ses cheveux épais et poudrés à neige sur ses sourcils noirs et barrés, sa tête perpendiculaire sur sa haute et ample cravate, la dignité de cette taille petite, l’élégance de cette mise simple, ne manquaient cependant jamais leur effet sur la multitude. Il fit signe qu’on s’arrêtât, et on s’arrêta.

Le représentant du peuple venait d’apprendre la violation de ses ordres, et tel était probablement le motif de la colère qui animait son regard luisant et profond ; mais ce sentiment, tout indomptable qu’il était dans son cœur, fit un moment place à la surprise, quand Saint-Just aperçut près de Schneider une jeune fille en habits de fiancée. Celle-ci, profitant du moment où elle excitait son attention, s’élança hors de la voiture et se jetant, à genoux sur les pavés : « Justice ! s’écria-t-elle ; justice, citoyen ! J’en appelle à Saint-Just et à la Convention ! » Puis elle raconta en peu de mots, mais avec l’expression la plus éloquente, l’horrible abus de pouvoir du tyran de l’Alsace. « Est-il vrai ! dit Saint-Just en appuyant sa main sur son front. Cela peut-il être vrai ! » Tout le monde fut d’accord sur les faits, sans en excepter l’homme de la petite voiture, que son intimité cordiale avec Schneider rendait un témoin imposant, et qui déclara qu’il avait reçu l’ordre de se tenir prêt pour l’exécution du père de la Young frau, s’il avait refusé son consentement au mariage. Saint-Just ne parlait pas, ou tout au plus il murmurait à basse voix quelques mots confus : « Le voilà donc dévoilé, l’exécrable capucin de Cologne ! » Et puis, il mordait ses poings, et frappait à coups réitérés sur la barre de son balcon. « Qu’aurais-tu fait, dit-il, enfin à la fiancée, si tu ne m’avais pas trouvé disposé à te rendre justice ? — Je l’aurais tué ce