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SOUVENIRS ET PORTRAITS

dire depuis que Robespierre le jeune était un homme nul. Je ne le crois pas. J’étais certainement fort peu en état de le juger alors comme orateur ; mais aujourd’hui même que je crois l’entendre encore, je me rappelle à merveille la distribution de son discours, évidemment improvisé, et j’y trouve de l’esprit et du talent. Il commença par rappeler les faits de son passage à Vesoul, et par expliquer la conduite qu’il y avait tenue. Il entra franchement dans le fond de la question, en déclarant, comme il l’avait fait, qu’à l’exception de quelques grandes communes, il n’y avait point de fédéralistes dans les départemens. Il ajouta que le nombre des suspects avait été multiplié par une extension cruelle des lois, et porté beaucoup au-delà de son expression raisonnable. Il insinua adroitement que c’était une manœuvre de l’aristocratie, cachée sous le masque d’une fausse ferveur patriotique, et qui cherchait à prouver à l’Europe que ce n’était pas l’immense majorité de la France, la France presque unanime, qui voulait la révolution. Il termina cette déduction adroite de principes en déclarant que le devoir des patriotes était de faire adorer la Montagne, et non de la faire craindre. Il n’évita pas de laisser échapper le nom de la terreur, terme alors sacramentel, et de lui rendre des actions de grâce, mais en ajoutant, ce sont ses termes, que ce système était sauveur, et non conservateur ; et qu’utile au triomphe de la liberté, il ne pouvait que nuire à son affermissement. C’étaient là les généralités de la question.

Il passa ensuite à ce qui lui était particulier, c’est-à-dire à ses rapports avec Bernard de Saintes, et à la dénonciation que celui-ci avait portée contre lui. Cette partie de la discussion, très-longue et très-peu variée dans la forme, est ce qui m’a laissé le sentiment le plus positif de la direction essentielle de son esprit. Ce fut une interminable ironie sur la nullité morale et politique de Bernard de Saintes, toute nourrie d’allusions à l’exiguïté de son corps. Il croyait que quelqu’un de ce nom s’était glissé dans la Convention nationale par le trou de la serrure. S’il s’était trouvé auprès de Bernard, c’était sans l’apercevoir. R se souvenait à peine de l’avoir vu s’effacer quelquefois entre deux membres de la Montagne. Il ne