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REVUE DE PARIS

À la vue de cet homme, qui, par une étrange fatalité, se trouvait lié à toute sa destinée, Liona n’avait pu réprimer un geste facile à interpréter, même pour un œil moins clairvoyant que celui de Manzi. — Je vous fais peur, Liona, dit-il en saisissant une main qu’elle ne lui tendait pas, et pourtant c’est à moi que vous devez votre bonheur ; car vous êtes heureuse, n’est-ce pas ?… Et il s’arrêta malgré lui. Il y avait dans ce mot de bonheur prononcé devant cette pâle figure une si amère ironie, que Manzi n’eut pas le courage de continuer ce triste persifflage.

Cette question, à laquelle un regard jeté sur elle suffisait pour répondre, teignit d’une vive rougeur les joues pâles de Liona. — Oh ! sans doute, sans doute, je suis heureuse, reprit-elle vivement ; Tonino a beaucoup de bontés pour moi. Il est fort occupé d’un tableau qu’il fait à Bologne, je crois : mais je le vois encore assez souvent, aussi souvent que cela lui est possible. D’ailleurs, ajouta-t-elle avec un sourire oii perçait l’amertume, vous savez bien, Manzi, que, grâces à vous, Tonino m’appartient ; et si par hasard il m’échappe, il faudra bien qu’il me revienne tôt ou tard.

— Ah ça ! voyons, Liona, répliqua l’abbé en attachant sur elle son regard inquisiteur, c’est assez feindre avec un ancien ami ; appelons maintenant les choses par leur nom. Tonino le néglige, n’est-ce pas ? Eh bien ! il n’y a pas là de quoi te désespérer ; il t’a été fidèle près d’un an ; c’est beaucoup, c’est plus même que je n’aurais attendu de lui. Mais il ne faut pas lui laisser l’honneur de te quitter le premier. Ecoute, ma bonne Lionn, lu le sais, j’ai toujours eu un (aible pour loi. Quand je t’ai vue é|>rise, je ne sais trop pourquoi, de ce petit freluquet de Tonino, j ai attendu patiemment, bien sûr que sa folie ou la tienne finirait avant l’année. J’ai borné mes prétentions à être un jour son successeur, tt à m’inscrire auprès de loi pour la survivance. Mon tour est venu, je pense ; mais j’attendrai encore si lu le désires. Seulement, il ne faut pas prendre ainsi les choses au sérieux, ma pauvre Liona, ni user ainsi ces beaux yeux à verseï’des pleurs qui, depuis Didon jusqu’à nous, n’ont pas plus que les coliellnie ramené jamais un infidèle. Que t’importe, après tout, que Tonino, puisqu’il a cessé de l’aimer, veuille faire une fin pour obéir à son oncle et épouser cette petite sotte de Monna ?