Page:Revue de Paris - 1835 - tome 23-24.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
8
REVUE DE PARIS

À ces mots, Liona, qui jusqu’à ce moment avait à peine écouté le caquetage de l’abbé, et n’avait répondu à sa singulière morale que par quelques gestes de tête dédaigneux, bondit comme le chevreuil frappé au cœur. — Tonino se marier ! s’écria-t-elle en saisissant par un geste impérieux la main de l’abbé ; qu’as-tu dit là, Manzi ? cela ne se peut pas ; il est marié avec moi, il m’appartient, il est à moi. Répète encore !…

— Quoi ! vous l’ignoriez ? reprit Manzi, feignant de vouloir ressaisir les indiscrètes paroles qu’il avait laissé échapper à dessein. Mais c’est la fable de la ville, que le prochain mariage de Tonino avec Monna Guidotii, la fille du riche orfèvre. Il faut lui rendre justice cependant, à ce pauvre Tonino, ce n’est pas lui qui y a songé ; c’est son oncle qui le persécute depuis six mois pour qu’il rompe avec vous.

— Homme, je te dis qu’il ne peut pas se marier, à peine d’être deux fois sacrilège, s’écria Liona, s’abandonnant àla fougue longtemps contenue de son caractère. Voyons, réponds-moi, Manzi, si tu as encore quelques entrailles d’homme sous ta robe de prêtre : L’hostie était-elle consacrée ? les saintes paroles ont-elles été dites ? le mariage est-il vaUde enfin ?

— Aussi valide que peut le faire la bénédiction d’un prêtre indigne comme moi, répondit Manzi. Tu es bien et duement la femme légitime de ce mauvais sujet de Tonino ; ce qui, comme tu le vois, ma pauvre enfant, ne t’avance pas à grand’chose.

— Je suis sa femme, sa femme légitime ! s’écria Liona en relevant sa tête, belle d’orgueil et de colère. Tu l’as dit, Manzi, et tu ne t’en dédiras pas, je l’espère, quand devant Bologne assemblée, je réclamerai l’époux qui m’appartient ?

— Malheureuse ! que veux-tu faire ? s’écria l’abbé, dont les traits exprimaient cette fois une terreur qui n’était pas jouée. Mais, ma chère Liona, as-tu donc perdu la tête ? La petite comédie sacrosainte que nous avons jouée entre nous et à huis-clos n’est pas, grâce au ciel, du ressort des tribunaux ecclésiastiques ; et sans parler du tort grave que tu pourrais me faire, à moi, penses-ta que le saint tribunal n’a pas autre chose à faire que de se mêler de pareils enfantillages ?

— Enfantillages 1 s’écria Liona exallée ; mais c’est un sacrilège.