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REVUE DE PARIS

c’est comme ta femme que tu commences à l’aimer. Crois-tu qu’on trompe un œil comme le mien ? N’ai-je pas tâté le pouls à ion amour, et ne l’ai-je pas trouvé malade, fort malade, à notre dernier souper, où tu as reparu, renégat que tu es ? allons, un peu de franchise, Tonino, ne mets pas cette réserve avec un vieil ami ; avoue-moi franchement que tu commences à te lasser de ta tendre Liona, et que toute ta colère contre moi vient surtout de la peur d’être rivé pour la vie à la lourde chaîne de l’hymen.

— Eh bien ! oui, je ne m’en cache pas, je veux ma liberté ; rends-la-moi, toi qui me l’as prise. Réponds, misérable, de quel droit as-tu disposé de moi ? As-tu mis ta griffe sur moi, comme Satan, en me liant pour la vie, par un pacte que je ne peux plus rompre ? Tu m’en rendras raison, entends-tu, Manzi, si tu n’es pas un lâche, ou je te ferai mourir sons le bâton.

Une légère rougeur teignit les joues pâles de l’abbé, et un éclair bientôt réprimé brilla dans ses yeux. L’homme du monde, l’homme de cœur lutta un instant en lui contre le prêtre et l’ambitieux ; mais ce dernier l’emporta, et ce fut avec un calme parfait, et dune voix qui ne trahissait pas la plus légère émotion, qu’il répondit à Tonino. — Hélas ! mon excellent ami, je ne suis pas un lâche, mais un prêtre, et le glaive nous est défendu, tu le sais bien, à nous autres ministres de paix ; il n’y a donc pas beaucoup de courage à nous provoquer, et je t’engage à garder le tien pour une meilleure occasion ; je t’assure que c’est avec le plus vif regret que je me vois obligé de me refuser ainsi qu’à toi cette petite satisfaction. Quant à l’autre proposition que tu m’as faite, il y a long-temps que je n’ai essayé mes forces au pugilat, more aniiqno ; mais si tu veux attendre que je sois levé, et te mettre dans le même costume que moi, nous nous ferons frotter d’huile, et nous pourrons nous mesurer ensemble. Si j’ai bonne mémoire, la dernière fois que nous l’avons fait en nous jouant chez ton oncle, il me semble que ce n’est pas à toi qu’est resté l’avantage.

Tonino rougit de colère encore plus que de honte ; car le jour dont il s’agit, Manzi, qui, malgré sa maigreur, était doué d’une force musculaire prodigieuse, l’avait jeté si rudement sur le carreau, qu’il était resté sans connaissance pendant un grand quart d’heure ;