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REVUE DE PARIS

puis il pâlit au sentiment de son impuissance à se venger, et partant machinalement la main sur la garde de son épée : — Mais alors, maudit hypocrite, dit-il d’une voix presque étouffée par la rage, si ta robe de prêtre t’assure l’impunité, que me reste-t-il à faire, sinon à te tuer comme un chien enragé que tu es.

À cette menace-là, Manzi s’émut beaucoup moins qu’à l’autre.

— Ce qu’il te reste à faire, mon bon Tonino, répondit-il avec la plus parfaite aisance, veux-tu que je te le dise ? c’est de ne pas prendre ainsi au sérieux les choses de cette vie, de la regarder comme moi par son côté plaisant et de te dépêcher d’en rire pour n’avoir jamais le temps d’en pleurer. Après tout d’ailleurs, je ne vois pas que tu sois si à plaindre. Tu croyais, pieux personnage, avoir à t’accuser à confesse du péché de fornication, et il se trouve que tu as consciencieusement vécu en légitime mariage, comme un honnête boutiquier de la place Sainl-Luc. Enfin, aujourd’hui que tu es las de ta femme comme cela devait arriver infailliblement après un an ou deux, eh bien ! elle redevient pour toi ce qu’elle était, Liona la courtisane, Liona le modèle ; tu la mets tranquillement à la porte comme une maîtresse qui a fini son bail ; et quelqu’un, peut-être, qui sait ? ton ami Manzi, sera bien aise encore de se contenter des rebuts de messer Tonino.

— Jamais, jamais je n’aurai le cœur de la traiter ainsi, s’écria Tonino, vivement blessé qu’on allât au-devant d’une pensée qu’il ne voulait pas s’avouer à lui-même. Eh ! quand je le voudrais d’ailleurs, comment le pourrais-je ?

— Ah ! ah ! tu capitules déjà, mon brave Tonino, reprit Manzi à qui rien n’échappait ; ton mariage, eh 1 mais quelle nécessité y a-t-il d’en parler ? tâche seulement que personne au monde ne se doute de l’innocente supercherie que je t’ai faite. Vis encore sur ton amour pour Liona, aussi long-temps qu’il voudia bien durer ; tu peux même, si tu veux y mettre des procédés avec elle, le faire traîner un mois de plus qu’il n’aurait fait sans cela ; et puis quitte-la sans éclat, mais sans dureté, en galant homme enfin, et je me charge de lui persuader de le garder le secret.

— Ton âme est si sèche, Manzi, que tu ne comprendras jamais rien à ces sortes de choses-là, mais moi, entends-tu, je ne veux pas