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REVUE DE PARIS

Quelques semaines s’e’coulèrent sans amener d’événement nouveau. Tonino, vivement tenté par moniens de suivre les conseils de Manzi, et de céder aux instances toujours plus pressantes de son oncle, n’en continuait pas moins de vivre avec Liona, cédant sans le vouloir à ce joug de l’habitude qu’il est si difficile de rompre. Mais le charme était détruit ; il n’était plus au pouvoir d’aucun des deux de tromper l’autre, ni de se tromper lui-même. Tonino n’essayait plus de se cacher qu’il avait cessé d’aimer, et Liona avait pressenti cette triste vérité long-temps avant qu’il ne se l’avouât à lui-même. Il se sentait près d’elle dans cet état déplaisant d’un homme qui sait une mauvaise nouvelle, et aime mieux la laisser deviner que de la dire. Chaque jour Liona croyait voir sur ses lèvres ce mot fatal : je me marie demain ! et chaque jour Tonino, avec une pitié maladroite, retardait l’arrêt de mort de la pauvre Liona. Il se croyait, du reste, le plus généreux des hommes de prolonger ainsi son agonie, et s’applaudissait de sa délicatesse c’naque fois que, le mensonge sur les lèvres, il lui parlait d’un amour qui n’était plus, hélas ! qu’un procédé de sa part. Pâle, froide, et presque dédaigneuse, Liona avait peine à contenir un sourire amer devant cette triste et longue comédie qui se jouait tête à tête entre deux acteurs dont chacun savait le secret de l’autre. Aussi quand parfois la main hésitante de Tonino cherchait à saisir celle de Liona, et à suppléer, comme autrefois, aux paroles qui lui manquaient, par une caresse muette, plus éloquente que toutes les paroles, Liona relirait doucement sa main froide, et se détournait pour cacher une grosse larme qui roulait dans son œil à ce souvenir de jours meilleurs ; elle fuyait les caresses de Tonino comme une insulte, comme une prostitution ; elle se serait crue plus courtisane à les accepter qu’à se vendre.

Il y avait des momens où elle était prête à se jeter aux genoux de Tonino pour le supplier d’en finir, d’épouser Monna Guidotti, et de lui dire à elle : Va-t-en ! comme on le dit au mendiant qui vous importune encore après (}uo vous lui avez jeté son aumône ;